Cette expérimentation est une petite révolution pour la justice française.
Pendant deux ans, le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) va proposer à plus d’une quarantaine de délinquants toxicomanes ou alcooliques récidivistes de suivre un programme thérapeutique intensif au lieu de purger une peine de prison. Soit cinq heures d’activités et de soins par jour, cinq jours par semaine, pendant une année, afin de prendre en charge de façon approfondie l’addiction qui leur a valu de retourner une nouvelle fois devant la justice.
Discrètement mis en route depuis le mois de mai, avec déjà six bénéficiaires à l’issue de deux audiences, ce dispositif va être officiellement dévoilé mardi 30 juin par la garde des sceaux, Christiane Taubira. Plus de deux ans après la conférence de consensus sur la prévention de la récidive qui en avait établi le principe – via la création de la contrainte pénale –, le lancement de ce projet pilote devenait urgent pour ses promoteurs. A l’approche de l’élection présidentielle de 2017, il serait sans doute devenu compliqué de sereinement mettre en place une telle initiative, au vu des vifs débats suscités par la contrainte pénale.
Au ministère de la justice, qui a mené le projet en partenariat avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), on assure que ce programme, directement inspiré de ce qui se pratique au Québec, représente un « changement de paradigme » concernant les soins contraints. « C’est une vraie approche pragmatique et une innovation de bon sens », se félicite Jean-Pierre Couteron, le président de la Fédération addiction, une structure partenaire du projet.
« Profils lourds »
Pour ses concepteurs, ce dispositif s’applique à des profils bien particuliers. Sélectionnés à l’issue d’une phase de contrôle judiciaire de deux mois et d’une évaluation approfondie, les bénéficiaires doivent être récidivistes, avoir commis des infractions de moyenne gravité directement en lien avec leur addiction et être volontaires. Des toxicomanes condamnés à plusieurs reprises pour des vols ou un multirécidiviste des conduites en état alcoolique sont déjà rentrés dans le projet. Les actes répétés de dégradation et les atteintes physiques légères portées sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants sont également concernés.
« Ce sont des profils lourds pour lesquels on commençait à être démuni en termes de réponse car la prison ne permet pas de s’attaquer à la cause des infractions », explique Guillaume Lefèvre-Pontalis, le vice-procureur du tribunal de Bobigny et l’un des coordonnateurs du projet. « Mais le tribunal n’est tenu par rien, précise-t-il aussitôt. On ne fera par exemple pas rentrer dans le programme des auteurs d’agressions ultraviolentes. » Les profils psychiatriques lourds sont également exclus.
Une fois par mois, une partie des audiences de deux chambres du tribunal de grande instance de Bobigny sont consacrées au traitement des cas retenus. Il ne s’agit pas pour elles de délivrer une exemption de peine mais simplement de l’ajourner. Celle-ci est suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du bénéficiaire afin de l’inciter à l’assiduité. En cas d’écart, le juge d’application des peines peut à tout moment décider le retour dans le processus judiciaire classique. A l’inverse, si le programme est correctement suivi, le magistrat peut, à l’issue de celui-ci, déclarer la personne coupable mais la dispenser de peine.
Travailler sur les compétences
Les obligations de soins ou le sursis avec mise à l’épreuve faisaient déjà partie des réponses possibles pour les délinquants présentant ce profil. « Mais concrètement personne ne les prenait en charge de façon aussi serrée », souligne Guillaume Lefèvre-Pontalis, pour qui l’étroite collaboration entre les professionnels de la justice et ceux du soin, réunis dans des mêmes locaux, représente une vraie nouveauté.
Cinq heures par jour, cinq jours par semaine, pendant un an, les bénéficiaires du projet pilote vont, sous la houlette d’un médecin et d’un psychologue, suivre des activités pour traiter leurs addictions, travailler sur leurs compétences, renforcer l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes, par l’intermédiaire notamment des groupes de parole, ou encore pratiquer des activités culturelles et sportives. Budget prévisionnel du projet : 300 000 euros par an. « C’est un budget non représentatif car il prend en charge des frais d’évaluation importants, si on généralisait ce programme, cela n’aurait pas ce coût », fait-on valoir au ministère de la justice, où l’on rappelle qu’il faut ramener cette somme « au coût des personnes quand elles sont en prison ». « Cela aurait été mieux d’avoir un budget et un calendrier moins contraints », regrette de son côté Jean-Pierre Couteron.
Un premier bilan de l’expérimentation aura lieu en mai 2016. Il sera sans doute alors encore trop tôt pour savoir si celle-ci sera un jour amenée à connaître le même sort que le dispositif des téléphones d’alerte pour les femmes battues, testé pendant cinq ans dans la juridiction de Bobigny avant d’être étendu au reste de la France. Ou si l’initiative butera sur un éventuel changement de majorité politique en 2017.