Esprit de Noël oblige, j’avais promis à certains riverains de transmettre leurs propositions de soutien financier à Alain. Touché par l’intention, le détenu ne souhaite pas en profiter, mais vous répond :
« J’ai plutôt besoin d’un soutien psychique ou d’une aide dans mes cours. Qu’on me signale des articles intéressants en psycho par exemple.
Si des lecteurs ont des invitations pour aller au musée ou au théâtre, ça me ferait plaisir d’y aller. Je suis curieux de savoir comment les gens honnêtes arrivent à vivre. »
MAKING OF
Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison et trois à l’hôtel. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food. Rue89 le retrouve chaque semaine lors de son entretien avec Julie, assistante sociale à l’APCARS (Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale).
Pour la première fois devant moi, Alain formule l’envie de sortir un peu la tête du guidon, de souffler et de prendre du recul par rapport à la fac et au boulot. Voire de rencontrer des inconnus, les « gens normaux » qu’il imagine si lointains. Julie saute sur l’occasion : elle peut lui fournir des places de théâtre offertes par l’association Cultures du cœur.
Bien sapé, souriant, Alain cherche quand même du travail en extra pour les vacances. Les inventaires, peut-être. « Et si vous ne trouvez pas ? » s’enquiert l’assistante sociale.
« Je lirai les livres que je n’ai pas pu lire ou je m’avancerai un peu sur les études. »
Pro-Lacan contre pro-freudiens
Ses partiels ont commencé. D’abord les travaux dirigés (TD), restent les cours magistraux.
« Rendre une copie double c’est difficile, j’ai un peu débordé. Il faut que je m’accroche pour réviser. Je ne sais pas sur quoi je vais tomber, donc je ne vais pas négliger certaines parties.
C’est bien beau de savoir le cours, mais il faut aussi avoir une réflexion personnelle. Je ne sais pas du tout comment font les autres étudiants. Les profs se font la guerre. Y en a qui sont pro-Lacan, d’autres pro-freudiens. »
En plein mois de décembre, malgré le froid et la morosité générale, Julie trouve encore le moyen de regonfler son détenu, de le convaincre qu’il a fait le bon choix :
« Peut-être que pour beaucoup d’étudiants, l’enjeu n’est pas le même ? Vous avez tenté une sacré expérience. Vous avez dix ans de plus que les autres, ça vous a demandé beaucoup de courage et beaucoup de force, chaque chose en son temps. »
« Ça me fatigue cette histoire de Sécu »
La semaine dernière, Alain est bien allé chez le médecin.
« Elle m’a dit qu’il fallait que j’essaie de dormir huit heures par jour, que sinon j’allais pas tenir le choc. Elle m’a prescrit des anxiolytiques pour accéder plus facilement au sommeil. »
Et il a rendez-vous avec un ophtalmo début janvier. D’après le cabinet médical, Alain ne bénéficie pas de la CMU complémentaire. Julie s’agace devant cet imprévu, pensant que c’était réglé.
« Bon, on va les appeler, ça commence à me fatiguer cette histoire de Sécu. »
Sonnerie.
« Merci de taper les treize premiers chiffres de votre numéro de Sécurité sociale. »
Musique.
« Votre temps d’attente estimé est supérieur à 15 minutes. »
Elle raccroche. Le référent « Sécu » de La Santé est absent pendant trois semaines, Alain va devoir se déplacer à la caisse.
« Vous savez où c’est ?
– Non, pas du tout.
[Bruit de clavier, Julie cherche l’adresse.]– Vous ne travaillez pas aujourd’hui ?
– Non.
– C’est ouvert jusqu’à 17 heures. »
Le HLM, « peut-être dans cinq, sept ou dix ans »
Un autre chapitre conséquent doit s’ouvrir : celui du logement. Julie y a glissé quelques allusions au fil des entretiens. Cette fois, elle attrape une feuille blanche pour y dessiner un schéma des procédures de logement social.
« Même si aujourd’hui ça paraît un peu lointain, le temps passe vite. Il faut trouver une situation moins précaire que la chambre d’hôtel, où vous ne pouvez pas vous faire à manger, où il n’y a pas de WC ni de douche privatifs. »
Ses yeux attrapent ceux d’Alain pour être bien sûre qu’il se concentre. Maintenant, semble-t-elle dire, on va parler de long terme, merci de ne pas décrocher et de ne pas flipper, faites-moi confiance jusqu’à ce que la feuille blanche soit remplie.
« Les premières années, vous n’aurez pas de proposition de logement social à Paris, où il y a des dizaines de milliers de demandes. Peut-être que dans cinq ans, sept ans, dix ans, vous aurez une proposition avec un loyer modéré.
C’est une démarche importante à faire dès maintenant, mais plutôt en se projetant dans l’avenir. Il faudra bien renouveler la demande une fois par an. »
Elle enchaîne d’une traite sur le droit au logement opposable (Dalo), les délais de recours, le tribunal administratif, le Siao, « l’accord collectif » et conclut :
« Ça ne donne pas de résultats dans l’immédiat, mais dans quelques années. »
« Ils m’auraient loué si on dormait ensemble »
En attendant, il existe des possibilités de résidences sociales, ou de logement dans le parc privé. « Il ne faut pas rêver, l’offre est faible et les loyers extrêmement chers. » Pourtant, Alain a déjà essayé :
« J’ai appelé certains propriétaires mais ils demandent trop de garanties. J’ai quand même fait dix ou quinze visites, mais toujours avec des propositions bizarres. Une dame voulait que je m’occupe de son enfant. D’autres personnes m’auraient loué si on dormait dans le même lit.
Je cherchais une colocation, sinon c’était des chambres de bonnes dans le XVIe à 600 euros par mois pour 8 m², avec trop de garanties. »
Alain n’a pas flippé, ni décroché. Au prochain rendez-vous, il doit ramener le dossier HLM qu’il a commencé à remplir en prison.