Apologie du terrorisme : la justice entre incohérences et «réactions hystérisées»

En deux semaines, près de 70 procédures pour «apologie du terrorisme» ou «menace d’action terroriste» ont été engagées, avec près de 30 condamnations à la clé. Le Syndicat de la Magistrature fulmine dans un communiqué publié aujourd’hui : «depuis quelques jours s’enchaînent les procédures expédiées, où l’on a examiné et jugé le contexte, à peine les circonstances des faits, si peu l’homme, poursuivi pour avoir fait l’apologie du terrorisme». Un texte sévère, qui invite à «résister à l’injonction de la répression immédiate» où il est notamment question de justice «désastreuse», de manque de «recul» et de «réactions hystérisées».

«VIVE LA KALACH !»

En se basant sur les chiffres de procédures et de condamnations évoqués plus tôt (et datant de vendredi dernier), on constate que plus de la moitié des actions pour apologie du terrorisme n’ont pour l’heure pas entraîné de condamnations. Une forte disparité entre les cas est notable : pour des faits parfois extrêmement similaires, une personne a pu bénéficier d’une relaxe dans un tribunal, tandis qu’une autre se voyait condamnée à plusieurs mois de prison ferme dans un autre.

L’excuse de l’ivresse semble ainsi plus tolérée à Nantes qu’à Orléans. Dans la préfecture de Loire-Atlantique, lundi après-midi, un jeune de 22 ans qui avait déclaré sous l’emprise de l’alcool à un policier «je vais chercher mes amis jihadistes, ils vont te faire exploser !» a été relaxé d’apologie d’acte de terrorisme. Comme le signale Presse Océan, il a toutefois écopé de deux mois de prison avec sursis pour menaces de mort et outrage. À Orléans, un jeune de 20 ans avec quelques coups dans le nez et qui avait hurlé «vive la Kalach !» devant les forces de l’ordre a quant à lui été condamné à six mois ferme…

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SOIRÉE MILITAIRE

Certaines affaires prêteraient presque à sourire, à l’image de cet homme de 28 ans domicilié à Avallon, dans l’Yonne, qui comparaissait mercredi 14 janvier au tribunal d’Auxerre pour apologie du terrorisme. Sur Facebook, il avait publié la semaine précédente une photo de lui muni d’un lance-roquettes et appelait, dans la légende, à commettre un attentat à Paris le jour de la grande manifestation du 11 janvier. Après enquête, comme le relève France 3 Bourgogne, il s’avère que l’individu, inconnu des services de renseignements, posait avec un lance-roquette factice et rentrait d’une soirée en boîte de nuit dont le thème était «militaire». L’homme, qui encourait un an de prison dont huit mois avec sursis et 100 heures de travaux d’intérêt général, a été relaxé par le juge.

L’application à la lettre de la loi entraîne par ailleurs des disparités de traitement selon les circonstances d’émission de propos condamnables. Dans l’Isère, un livreur de 32 ans qui avait sorti à un collègue une litanie bien fleurie («Les douze qui sont morts le méritaient !», «Si on me demande de poser une bombe, je le ferai !», «Et si ça te plaît pas, je te tranche la gorge avec un cutter !») a ainsi été relaxé d’apologie à Grenoble car ses mots n’avaient pas été prononcés dans un lieu public, mais dans l’enceinte d’une entreprise. Au même moment ou presque, à Chartres, un homme de 21 ans était condamné à 18 mois de prison, dont 12 ferme, pour avoir partagé sur Facebook des photos de massacres syriens assorties du commentaire «un coup de crayon et un coup de kalach c’est la même chose». Des propos pas vraiment plus violents que ceux du livreur isérois, mais publiés sur le principal réseau social de France.

VERS UNE JURISPRUDENCE POUR DIEUDONNÉ ?

De simples expressions religieuses suffisent désormais à électriser les forces de l’ordre. En Corse, deux étudiants comparaissaient ainsi vendredi 16 janvier devant le tribunal correctionnel d’Ajaccio après avoir crié «Allahu Akbar» à des policiers municipaux. Evoquant «une blague de mauvais goût», tous deux ont été relaxés. Idem pour le jeune homme de 23 ans qui avait inscrit «je suis Charlie Coulibaly» sur le registre de doléances d’un commissariat de l’Hérault. «Ce que j’ai fait, c’est nul. J’ai fait une belle erreur. Ce sont des choses qui ne se font pas car cela peut être mal interprété», a déclaré à la barre du tribunal de Montpellier ce fan de Dieudonné.

Son affaire a d’ailleurs été commentée par l’entourage de Dieudonné sur son site officiel aux relents conspirationnistes, Quenel+, voyant là une jurisprudence possible pouvant aller en faveur du polémiste. Ce dernier est convoqué au tribunal correctionnel de Paris le 4 février pour apologie du terrorisme après avoir écrit «je me sens Charlie Coulibaly» dans une publication Facebook rapidement supprimée.

Sur les blogs et les réseaux sociaux, la grande majorité des magistrats déplorent la situation actuelle. Sur Twitter, le très suivi Maître Eolas invite ses confrères à «refuser les comparutions immédiates pour apologie et à demander un délai», avant d’ajouter : «ne vous faites pas complices».

Alexandre HERVAUD

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