Apologie du terrorisme : la justice face à l’urgence

Une justice d’exception, expéditive, et qui mène à des peines trop lourdes. Les voix s’élèvent pour dénoncer les procédures judiciaires lancées par dizaines depuis les attentats en région parisienne. Au cœur des critiques : l’« apologie du terrorisme ».

La première mise en garde est venue d’Amnesty International. « Le risque est grand que ces arrestations violent la liberté d’expression », estimait l’association le 16 janvier. Le syndicat de la magistrature, à gauche, a suivi en publiant un communiqué le 20 janvier qui appelle à « résister à la vague de l’émotion » et à « l’injonction de la répression immédiate ». Retour sur une notion floue qui agite les tribunaux.

Une définition large

Le ministère de la justice recense, mercredi 21 janvier, 117 procédures pour « apologie du terrorisme » et « provocation à la haine raciale », sur 251 procédures pénales ouvertes depuis l’attaque de Charlie Hebdo, le 7 janvier. Une surreprésentation qui interpelle, deux semaines après les attentats en région parisienne.

Quant à savoir ce que l’administration entend par « apologie du terrorisme », la réponse est large. « L’apologie consiste à présenter ou commenter des actes de terrorisme en portant sur eux un jugement moral favorable », définit ainsi la circulaire du 12 janvier de la ministre de la justice, Christiane Taubira. Sans autre précision, l’article 421-2-5 du code pénal condamne « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes » à cinq ans d’emprisonnement (sept ans si les faits ont été commis sur Internet) et 75 000 euros d’amende.

Dans l’étude d’impact du projet de loi, le législateur a tenté de préciser sa pensée en affirmant qu’il s’agissait non pas de « réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes ». Il cible alors Internet, désigné comme « un puissant vecteur d’endoctrinement conduisant des individus à se radicaliser en les incitant à commettre des actes de terrorisme ».

Les profils et l’esprit de la loi

Si la définition est large, l’objectif du législateur apparaît clairement. Les procédures pour « apologie du terrorisme » visaient à punir la promotion organisée d’actes terroristes existants pouvant amener ceux qui les regardent à se radicaliser et les conduire eux-mêmes à commettre des attentats.

Des profils qui ne collent que peu avec ceux rencontrés dans les tribunaux, soutient Laurence Blisson, vice-présidente du syndicat de la magistrature :

« Dans l’esprit du législateur, il ne s’agissait pas de viser les personnes ivres ou les déficients mentaux. Or les infractions ressemblent plus en ce moment à des formes d’outrages et de menaces sur les policiers qu’à des soutiens organisés à des réseaux terroristes. » 

Ce qui n’empêche pas la justice de frapper fort. A Paris, un homme ivre a ainsi été condamné à quatorze mois de prison ferme pour avoir lancé aux policiers, entre un doigt d’honneur et des crachats : « Je n’ai qu’une chose dans la vie, c’est de faire le djihad (…), c’est de buter des flics. » Ses excuses lors de son audience en comparution immédiate, le 15 janvier, n’y ont rien changé. Ni même les craintes de son avocat concernant un risque de radicalisation en prison.

Lire aussi : Des peines très sévères pour apologie du terrorisme

Une justice d’exception ?

L’apologie du terrorisme serait donc punie plus sévèrement depuis les attentats ? Attention à ne pas faire le procès de la justice sans lire son dossier, nuance Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats. « Peut-être que certaines peines sembleraient alors moins surprenantes », explique-t-elle, soulignant que « l’apologie du terrorisme” fait souvent partie d’un ensemble d’infractions constituées, comme “l’outrage”, “la rebellion” ou “la conduite en état alcoolique” ». Sans compter le casier du prévenu.

Ainsi, sur les 117 procédures recensées pour « apologie du terrorisme » et « provocation à la haine raciale », 77 ne concernent que cette infraction, les autres étant suivies ou précédées d’une ou plusieurs autres, précise le ministère de la justice. Parmi elles, 44 ont été jugées, dont 22 en comparution immédiate. Selon la même source, 12 peines de prison ont été prononcées au total, dont 7 ferme.

Si ces chiffres relativisent l’impression d’une surreprésentation de ces affaires devant les tribunaux, les parquets ont tout de même reçu des consignes de fermeté de la part de la ministre de la justice, Christiane Taubira, dans une circulaire envoyée le 12 janvier. Et les exemples témoignant de la « grande réactivité » exigée par la ministre ont fleuri dans les chroniques judicaires de la presse et dans les chambres des tribunaux dévolues aux comparutions immédiates.

Car c’est bien cela qui est reproché à la justice, notamment par le Syndicat de la magistrature, dans son traitement des procédures pour « apologie du terrorisme » : juger dans l’urgence des cas qui nécessiteraient de prendre davantage de recul. Certes, concède Laurence Blisson, la circulaire Taubira demandait également une réponse pénale « individualisée ». Mais celle-ci est presque impossible dans le cadre des comparutions immédiates, où la défense n’a que quelques heures pour se préparer, et où l’audience se compte en minutes.

D’autres voix s’élèvent dans le monde judiciaire, résistants à cette justice de l’urgence. Sur Twitter, Me Eolas appelle ainsi ses confrères à demander des délais et à refuser les comparutions immédiates (CI) pour ne pas devenir « complices » :

Mais si obtenir un délai pour préparer sa défense est possible, le prévenu peut dans ce cas être placé en détention provisoire. Un élément souvent dissuasif.

Le paradoxe de la liberté d’expression

Si le délit d’« apologie du terrorisme » existait avant elle, c’est la loi du 13 novembre 2014 qui a sorti l’infraction de la loi sur la presse de 1881 pour la transférer dans le code pénal, ouvrant ainsi la possibilité de juger ces affaires en comparution immédiate.

« A l’époque, il était nécessaire de sortir l’apologie du terrorisme” du droit de la presse, car son cadre empêchait de lutter contre les sites de propagande. C’était ça l’esprit de la loi, défend Virginie Duval. Lutter contre le développement de la propagande terroriste. »

Un choix qui se justifiait donc dans le cadre précis de « l’apologie du terrorisme », mais qui ne peut s’étendre si facilement à d’autres infractions. Lorsque Mme Taubira déclare, vendredi 16 janvier, que la chancellerie réfléchit à créer une circonstance aggravante de racisme et d’antisémitisme sur toutes les infractions – ce qui reviendrait donc à faire sortir le racisme et l’antisémitisme de la loi sur la presse de 1881 pour les introduire dans le code pénal – la présidente de l’Union syndicale des magistrats est donc plus sceptique. « De toute façon, on ne fait pas une loi dans l’émotion. »

Et voici la justice coincée dans une situation paradoxale où, dans un contexte où la liberté d’expression est érigée en étendard national, elle risque de la fragiliser en donnant l’impression que tout n’est pas digne du cadre protecteur de la loi de 1881.

 

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