Cette rencontre visait à marquer l’implication du président sur le sujet, après l’annonce, lundi, des mesures issues du Grenelle.
La visite a été tenue secrète aussi longtemps que possible. Quelques heures après les annonces du gouvernement à l’issue du Grenelle contre les violences conjugales, Emmanuel Macron s’est rendu, lundi 25 novembre, au tribunal de grande instance de Créteil pour rencontrer une victime et entendre son parcours en intégralité, depuis le premier signalement des violences jusqu’à la condamnation de son mari.
Cette opération de communication, que les conseillers de l’Elysée préfèrent qualifier d’« immersion », visait à marquer l’implication du chef de l’Etat sur le sujet, malgré l’absence de moyens supplémentaires alloués. Car, « quand le président ne met pas sa patte dans un dossier, il est accusé par les associations militantes de se désintéresser de la cause », remarque un conseiller.
C’est la première fois depuis le début de son quinquennat qu’il se rend dans un tribunal. Celui de Créteil a été choisi parce qu’il a mis en place un circuit accéléré de traitement des dossiers de violences conjugales, censé servir de modèle ailleurs en France. La garde des sceaux, Nicole Belloubet, et la secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, étaient également présentes.
« Je n’arrivais pas à partir »
Comme lors de sa visite au centre d’appels pour femmes battues, le 3919, le jour du lancement du Grenelle, Emmanuel Macron a choisi de consacrer du temps à une victime en particulier, choisie par l’association Tremplin 94 SOS Femmes. La rencontre s’est déroulée dans un petit bureau du tribunal en présence d’un responsable de l’association, de la chef du Bureau d’aide aux victimes et de deux journalistes, dont Le Monde. Terrorisée à l’idée d’être reconnue et que son mari puisse la retrouver, la victime a malgré tout accepté de témoigner dans l’espoir que cela puisse « aider d’autres femmes ».
Pendant plus d’une demi-heure, Emmanuel Macron l’a écoutée raconter, avec retenue et émotion, les violences et les humiliations que son mari lui a infligées durant quarante ans.
« Les violences étaient physiques ou psychologiques ?, demande le chef de l’Etat.
– Surtout psychologiques, répond la sexagénaire. Il me rabaissait tout le temps. »
Elle raconte les injures, les crachats, les menaces, puis la première main courante qu’elle dépose en 2017, suivie d’une plainte, quelques mois plus tard.« Avant cette date, vous n’aviez fait aucune démarche ? », s’étonne le président. « Non, parce que j’avais peur, il menaçait de me tuer. Mes enfants me disaient de partir, mais je n’y arrivais pas. » Sous l’emprise de son mari, décrit comme possessif et tyrannique, elle a gardé le silence pendant des décennies.
Lorsqu’elle a fini par s’échapper, il a retrouvé sa trace, et l’a de nouveau pourchassée. « Une nuit, il est venu me menacer. J’ai appelé la police et précisé que j’avais déjà déposé plainte. Les policiers sont venus mais ils l’ont laissé repartir tranquillement », se désole-t-elle. Le président ne commente pas, et demande : « Il était alcoolisé ? »
Face aux violences répétées de son mari, elle a finalement bénéficié d’une ordonnance de protection, une mesure d’urgence encore rarement utilisée, qui comprend notamment l’éloignement du conjoint violent. Un « téléphone grave danger » (TGD) lui a également été attribué. « Au début, avec le TGD, je me sentais en prison, se souvient-elle. Mais après, ça m’a permis de sortir. »
Assise à côté du président, la responsable du Bureau des victimes, Claire Commenchal, intervient : « Ce qui est important, c’est qu’il n’y ait pas de rupture dans la prise en charge des victimes. » Emmanuel Macron opine et prend quelques notes.
A plusieurs reprises, Mme Commenchal insiste également sur la nécessité de prendre en charge les auteurs de violences conjugales, et pas seulement les victimes, afin d’éviter les récidives. « S’ils ont juste un rendez-vous par mois pour un suivi médical contraint, ça ne sert pas à grand-chose. Il faut des lieux pour accompagner et héberger les auteurs. Il y a encore du travail. » La prise en charge des hommes violents, « angle mort des politiques publiques », comme l’a reconnu Marlène Schiappa, doit faire l’objet d’un appel à projets en 2020 afin d’ouvrir deux centres d’hébergement par région.
« Je m’en voulais de l’avoir envoyé en prison »
Après un nouvel épisode de violences, le mari, sans casier judiciaire jusque-là, a été condamné à trois ans de prison avec mandat de dépôt, une peine lourde. « A partir du moment où vous avez porté plainte, est-ce que les choses ont avancé, ou vous avez eu le sentiment d’être encore plus en danger ? », demande le président. « Je me suis demandé si j’avais bien fait de partir parce que j’ai fait éclater toute ma famille, répond-elle. Je m’en voulais aussi de l’avoir envoyé en prison. » Unsentiment de culpabilité omniprésent chez les victimes de violences conjugales.
Quand cette dame raconte que le bailleur HLM l’obligeait à continuer de payer sans qu’elle puisse résilier le bail alors qu’elle avait quitté le domicile, le président prend sa remarque en note et jette un coup d’œil interrogatif à sa conseillère juridique. « C’est un bon point, je ne suis pas sûr qu’on l’ait couvert dans nos mesures. »
« Vous avez peur ?, demande-t-il à la fin de l’entretien.
– Oui, c’est constant, souffle la sexagénaire. J’arrive quand même à vivre, maintenant, mais j’ai toujours l’angoisse de le recroiser.
– Aujourd’hui, il a pris conscience de ce qu’il a fait ?
– Pas du tout. Il ne comprend rien. Il m’a demandé récemment si je pouvais lui offrir un cadeau » pour la Fête des pères. »
Emmanuel Macron secoue la tête : « La peur et la culpabilité sont en train de changer de camp, estime-t-il malgré tout. Quelque chose a basculé dans la société. Il ne faut pas le laisser retomber. »
Par Faustine Vincent Publié le 26 novembre 2019