18 heures, boulevard Saint-Michel. La nuit est déjà tombée, il fait froid, plein de bagnoles démarrent à toute bringue dès que le feu passe au vert. Elles font trop de bruit. Sur les trottoirs, ceux qui quittent leur boulot foncent en manteau d’hiver et bottines.
MAKING OF
Détenu en semi-liberté, Alain dort quatre nuits par semaine en prison et trois à l’hôtel. La journée, il étudie la psychologie et travaille dans un fast-food. Rue89 le retrouve chaque semaine lors de son entretien avec Julie, assistante sociale à l’APCARS (Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale).
Alain attend, debout sous un arbre déplumé en face du centre de santé. Je ne suis pas sûre tout de suite, à cause du bonnet sur sa tête et de la clope entre ses doigts. Il ne fume pas tout le temps, seulement « pour couper la faim ». Julie arrive en même temps, quelques minutes à la bourre. Il reste une petite demi-heure avant le rendez-vous chez le médecin.
C’est amusant de se retrouver dehors tous les trois, plutôt que toujours dans le même bureau. On choisit le bar-tabac, le café le plus chic du carrefour se prend vraiment trop au sérieux. Déjà, sur la terrasse chauffée où on s’installe, un type coiffé comme BHL fume un gros cigare en toisant ses voisins.
Conversation à voix basse
Alain ne dort toujours pas. Il commence à s’assoupir pendant les cours et ses migraines continuent. Je trouve qu’il a mauvaise mine, mais d’habitude je ne le vois pas de si près. Et puis c’est peut-être la lumière qui fait ça.
L’assistante sociale lui parle à voix basse, par souci de discrétion sans doute. Pas la peine que toute la terrasse écoute cette drôle de conversation, où une femme conseille à un homme de faire confiance au docteur pour l’aider, pendant qu’une tierce personne prend des notes.
Alain appréhende le rendez-vous médical :
« J’ai jamais trop été malade. La plupart du temps, c’était des “coups et blessures”, j’évitais d’aller voir le médecin. Sauf la fois où j’ai eu une balle dans la jambe, c’était obligé. »
Il se touche le mollet. Laisse son café refroidir avant de l’avaler d’un trait. Triture ses mains.
Du 20 décembre ou 20 janvier, Alain sera en vacances universitaires. Il a posé la question, mais son employeur ne peut pas augmenter son volume horaire pendant cette période. « Peut-être que vous pourrez en profiter pour vous reposer ? » suggère Julie. Il dit « non, non, non », en secouant la tête. « Il faut que j’occupe mon temps intelligemment. »
A l’heure du rendez-vous, on laisse Alain sous le porche. Après le docteur, il doit retourner à La Santé.