Avec le téléphone « grand danger », on protège la femme avant de nouvelles violences

Ernestine Ronai, coordinatrice nationale de la mission «violences faites aux femmes», explique les bénéfices de ce dispositif de prévention qui va être généralisé.

Christiane Taubira, Bernard Cazeneuve et Najat Vallaud-Belkacem, ministres de la Justice, de l’Intérieur et des Droits des femmes, ont annoncé ce vendredi la généralisation du téléphone «grand danger», l’une des mesures du 4e plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. 157 téléphones déployés sur tout le territoire ont d’ores et déjà permis d’expérimenter le dispositif. 500 seront mis en place dès le mois de septembre.

Ernestine Ronai est la coordinatrice nationale «violences faites aux femmes» de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), et la responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes.

A qui s’adresse le téléphone « grand danger » ?

Il est destiné aux femmes victimes de violences de la part d’un partenaire ou ex-partenaire et aux victimes de viols. Elles doivent remplir plusieurs conditions pour bénéficier du téléphone : d’abord, la victime doit avoir été évaluée comme étant en très grand danger, un travail en amont qui revient généralement aux associations. Il faut aussi que la victime accepte d’appeler la plateforme Mondial Assistance – qui reçoit les appels – tous les quinze jours, pour vérifier que le téléphone fonctionne bien. C’est la seule contrainte. D’autre part, les deux partenaires ou ex-partenaires doivent vivre séparément. Et enfin, l’homme doit être sous le coup d’une interdiction d’entrer en contact avec la femme et doit avoir un profil dangereux. Quand les conditions sont réunies, c’est le procureur qui décide ou non d’attribuer le téléphone.

Comment le téléphone fonctionne-t-il ?

Il se présente sous la forme d’un téléphone tout à fait ordinaire, pour que l’agresseur ne puisse pas le reconnaitre. Mais il y a un numéro pré-enregistré : en appuyant sur une touche, la femme en danger est mise en relation avec Mondial Assistance, qui se charge de faire la levée de doutes, pour savoir si le téléphone ne s’est pas déclenché par erreur. Si la victime dit « j’ai peur, mon agresseur est en bas de chez moi », le téléassisteur appelle immédiatement la police. L’intérêt, c’est que les forces de l’ordre peuvent intervenir extrêmement rapidement.

Quelle est l’innovation principale du dispositif ?

Avant, on attendait que l’agresseur recommence et on punissait. La nouveauté, avec ce dispositif, c’est qu’on protège la femme avant la commission du nouveau fait de violence. Sur 158 femmes qui ont bénéficié du téléphone depuis quatre ans et demi en Seine-Saint-Denis, le département qui a été pilote dans ce domaine, il y a eu 100 interventions et 10 interpellations d’agresseurs. Les effets bénéfiques sont bien visibles, y compris pour les travailleurs sociaux, les associatifs et les magistrats qui travaillent en amont sur la situation de ces femmes. Avant ils se disaient « cette dame est en grand danger, mais comment la protéger ? ». Maintenant, ils ont un outil à disposition qui leur permet d’être plus performant dans leur mission. Nous avons aussi remarqué que l’attention portée aux femmes en danger dans le département est beaucoup plus importante qu’avant, notamment de la part des magistrats.

Au-delà du gadget technologique, le téléphone «grand danger» s’inscrit dans un dispositif plus global de lutte contre les violences faites aux femmes. Dans quelle mesure participe-t-il de ce processus ?

Le téléphone sort complètement les victimes de la solitude et de l’isolement dans lesquels elles se trouvent et qui les fragilisent. Savoir qu’elles pourront toujours obtenir de l’aide au bout du fil en cas de danger les apaise. On est face à des femmes qui sont dans une grande peur, avec un partenaire ou un ex-partenaire qui leur a dit « je vais te tuer », et elles savent qu’il pourrait passer à l’acte. Certaines femmes ne sortaient plus de chez elles, même pour aller jeter les poubelles. Mais grâce au téléphone, qu’elles emportent partout, elles sortent à nouveau. Bien sûr ce n’est pas une armure, ce n’est pas du 100%, mais si l’agresseur est en bas de chez elles, au coin de la rue, ou devant l’école des enfants, elles peuvent appeler. Et puis il y a d’autres numéros pré-enregistrés dans le téléphone, qui permettent de contacter des associations locales, lorsque la victime n’est pas en danger immédiat mais qu’elle est très angoissée.

Le dispositif, d’une durée de six mois, est renouvelable une seule fois en Seine-Saint-Denis, pourquoi ?

Le téléphone ne doit pas devenir un doudou et l’objectif est bien de leur permettre de sortir de la violence. Nous avons estimé que deux fois six mois, c’était à peu près le temps nécessaire pour régler la situation sociale et judiciaire des femmes victimes. Mais dans le volet «violences faites aux femmes» de la loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, promulguée en juillet, il est seulement indiqué que le dispositif est renouvelable, sans autre précision, ce qui laisse une marge de manœuvre au procureur.

Elise GODEAU

source : Libération.fr
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