Budget de la justice : le petit jeu d’Urvoas

Par calcul, le garde des Sceaux attise les revendications sur les manques de moyens. Mais peine à chiffrer les besoins.

par Paule Gonzalès 
JUSTICE « Clochardisation », « asphyxie », « embolie », Jean-Jacques Urvoas, le garde des Sceaux qui, le 27 janvier dernier, a succédé à Christiane Taubira, n’a pas de mots assez forts pour décrire l’état de misère et de désorganisation des juridictions françaises. Il faut dire que la justice est apparue depuis les attentats de 2015 comme le maillon faible de la prévention et de la lutte contre le terrorisme. Contrôles judiciaires bâclés, inconsistance du renseignement pénitentiaire, absence totale de suivi des sorties de prison des détenus terroristes et même, pendant de longs mois, le déni de la relation étroite entre délinquance et terrorisme.
Alors que le gouvernement montait en puissance sur le volet sécuritaire, il fallait prendre les devants d’une critique virulente d’une politique molle en matière de justice durant quatre ans. Critique qui ne cessera d’enfler à mesure que se préciseront les enjeux électoraux. Il y a urgence à désamorcer la fronde en saturant l’espace médiatique par un autre débat.
Depuis son arrivée, Jean-Jacques Urvoas se prend la tête entre les mains pour pleurer sur la misère de la justice. Médusés, les représentants de la justice – l’Unsa, l’USM et ordres d’experts – qui, jeudi, ont expliqué à la presse la grande détresse des juridictions, rappellent : «Ce n’est pas faute de lui avoir dit, déjà, quand il était président de la commission des lois. » A cette remarque, Jean-Jacques Urvoas aurait répondu benoîtement que « l’on ne comprend pas bien ce que l’on ne voit pas de ses propres yeux ». Un peu court. Jusque-là, le ministre de la Justice n’a pas donné le moindre chiffrage des besoins de son ministère. « Partageons d’abord le diagnostic, et ce sera bien », répète-t-il. « Nous ferons ce que nous pouvons », affirme aussi sans plus de précisions Matignon aux professionnels anxieux.
En revanche, Jean-Jacques Urvoas encourage ses interlocuteurs, – organisations professionnelles de magistrats, associations du monde judiciaire et représentants des barreaux de France – à porter urbi et orbi la parole d’une justice miséreuse dans toutes les enceintes. Forts de ce soutien, les magistrats le font avec une conviction sans égale.

Les sénateurs impressionnés 

Devant la commission des lois du Sénat, les représentants des conférences nationales des présidents, premiers présidents, procureurs et procureurs généraux, ont dressé un état des lieux qui a beaucoup impressionné les sénateurs : «Retards récurrents de paiement privant les tribunaux de la compétence des experts », « dotations initiales amputées de 20 à 30 % du fait des arriérés de paiements », « 400 vacances de postes, alors que le plafond d’emploi est passé entre 2010 et 2015 de 7896 à 9125 », un parquet au bord du burn-out, dont « le corps n’est jamais que le quart de la magistrature », « des téléphones portables dont les batteries se vident en deux heures ». « Il y a là un fort contraste entre la relative sérénité des administrations centrales qui ont précédé et le cri d’alarme des magistrats », ne pourra s’empêcher de noter Philippe Bas, qui sait bien que les intérêts du politique recoupent rarement ceux de l’administration. Parfois aussi, les magistrats s’emportent trop. En janvier, les procureurs annonçaient que sous la charge de travail, ils se contenteraient d’une simple synthèse pour les remontées annuelles à leurs procureurs généraux. La circulaire pénale du 2 juin les remet violemment à leur place en les accusant d’être hors la loi… La longe semble soudain bien courte…
 

Contrôle « aléatoire »

L’an dernier, la France découvrait que les terroristes Saïd Kouachi et Samy Amimour, comme avant eux Fabien Clain, avaient violé leur contrôle judiciaire et poursuivi sans problème leurs projets macabres. Devant les membres de la Commission d’enquête sur les attentats de 2015, le garde des Sceaux a qualifié, sans ciller, d’« aléatoire » l’efficacité de ces contrôles, précisant que c’était avant tout une question de moyens. « Je compte sur le Parlement pour m’aider », a-t-il poursuivi devant des parlementaires sidérés. Le ministre, qui par ailleurs ne souhaite pas revoir le régime de l’application des peines pour les terroristes, s’est tu quand le député PS Sébastien Pietrasanta a déploré que les mis en examen pour terrorisme ne puissent plus faire l’objet de surveillance particulière.

Prisons surpeuplées

La surpopulation carcérale n’a jamais été aussi importante et les conditions de détention en France aussi problématiques : 14 328 détenus en surnombre, et 1 645 matelas posés à même le sol, soit un taux de croissance de 51 %
en un an. Jean-Jacques Urvoas ne peut plus le nier, il manque selon lui 20 000 places de prison. « Donnez-moi 2 milliards », a-t-il affirmé devant les sénateurs pendant le vote de la loi sur la procédure pénale, oubliant un peu vite que le début du quinquennat a tout misé sur les peines alternatives. Cela tombe bien, les conseillers des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), fer de lance de la prévention de la récidive, ont durci leur mouvement qui dure depuis trois mois. Au cœur 
de l’exécution des peines, ils étaient fin 2015 environ 3 000 pour suivre 250 000 personnes, détenues ou en milieu ouvert.

Etudes inexistantes

L’inflation législative ne connaît pas de limite quand il s’agit de justice. Mais les études d’impact qui seraient nécessaires pour juger de la faisabilité des nouvelles missions sont indigentes voire inexistantes. Au point que la Cour des comptes s’en est mêlée, pointant l’absence d’étude d’impact efficace pour mesurer si la charge de travail et les moyens sont en corrélation. Les deux dernières lois sur la procédure pénale et le droit des étrangers font trembler les magistrats du siège comme du parquet. Dominique Lottin, la présidente de la Conférence nationale des premiers présidents, a déjà prévenu qu’il serait impossible au juge judiciaire de prendre en charge pour les cours d’appel, le contentieux de la validité des actes de rétention. Quant à l’introduction du « contradictoire », dans les enquêtes préliminaires des parquets, les procureurs s’arrachent déjà les cheveux
P. G.
Partagez :