« Ce n’est pas parce qu’ils sont pauvres qu’ils doivent être punis plus que les autres ! »

À voir leurs visages tannés par les vents mauvais de l’existence, Baudelaire aurait pu dire qu’ils ont « plus de souvenirs que s’ils avaient mille ans ». Un couple de Roumains sans âge comparaît pour une tentative de vol aggravé. Ils ont, sous les yeux de policiers en civil, essayé de dérober le téléphone portable d’une passagère du RER.

« Je jure que je n’ai rien fait… » s’emporte l’homme qui semble nerveux et a du mal à se contrôler. La présidente l’interrompt et relate les circonstances de l’interpellation. Les policiers remarquent l’attitude suspecte du couple prospectant les quais du RER à la recherche d’un bon « client ». La femme porte une écharpe sur le bras, ce qui ajoute à la singularité de la scène se déroulant en plein mois d’août. Les deux suspects semblent s’intéresser à une passagère, les écouteurs plantés dans ses oreilles et reliés au téléphone rangé dans son sac à main. La jeune femme laisse passer la première rame, bondée, et monte dans la suivante, se frayant une place près d’un strapontin. Le couple suspect la suit et se colle à elle. La prévenue pose alors son écharpe sur le sac de la passagère et se met à tirer sur le fil pour extraire le téléphone. Mais, se sentant probablement dérangée par une pression anormale, la victime pivote, ce qui fait échouer le projet.

« Rien de tout cela n’est vérifiable »

– Je n’ai pas volé, s’énerve l’homme. Je fais le ménage pour nourrir mes trois enfants, sanglote-t-il

– Il y avait beaucoup de monde dans le métro, renchérit sa femme en découvrant sa bouche en partie édentée.

Les deux prévenus, déjà condamnés deux fois pour des vols aggravés commis ensemble, risquent cette fois la détention. Ils ont installé leur résidence éphémère dans un camp en région parisienne. Et indiquent faire régulièrement des allers et retours en Roumanie avec leurs trois enfants. Des heures de ménage et quelques nettoyages de parebrise aux feux rouges leur rapporteraient de quoi survivre. « Rien de tout cela n’est vérifiable », commente la présidente.

Un avocat, les écouteurs sur les oreilles, bat la mesure avec son doigt en regardant le plafond. Cela fait presque deux heures qu’il patiente en attendant son tour.

« Ils ont trois enfants en bas âge »

« Ils la repèrent, ils la suivent, ils se collent à elle […], ils utilisent une écharpe pour dissimuler le vol », résume le procureur. « Ils ont les deux mêmes antécédents, ils agissent toujours ensemble. Et on ignore de quoi ils vivent. » Le magistrat requiert six mois ferme et un maintien en détention « pour garantir l’exécution de la peine. Il faut que le message passe immédiatement pour éviter que l’infraction ne se renouvelle », lance-t-il.

« Ce n’est pas parce que ces gens sont pauvres et sans domicile qu’ils doivent prendre une peine plus importante que les autres ! » proteste l’avocat de permanence. « Ils sont montés dans la deuxième rame parce que la première était bondée », explique-t-il. « La pression des voyageurs les uns contre les autres n’a rien de surprenant aux heures de pointe […]. Ils ont trois enfants en bas âge, ils ont besoin d’au moins un de leurs deux parents », réclame le défenseur.

« Je n’ai rien fait », supplie l’homme… Mais, comme sa femme, il partira en prison pour trois mois à l’issue de l’audience. « Pourquoi la prison ? » se lamente-t-il tandis que le gendarme le conduit de force vers la porte de sortie du box.

Par LAURENCE NEUER

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