Entretien avec Yvette Heeraman, avocate du cabinet Ngo Jung & Partners, qui donne des cours de « droit vivant » à titre bénévole dans les lycées et collèges.
Le Point.fr : Comment les élèves perçoivent-ils le droit et la façon dont il est enseigné dans le cadre d’InitiaDROIT ?
Yvette Heeraman : Nos interventions sont plutôt très bien accueillies. Les élèves ne nous regardent pas comme le « méchant », celui qui va leur faire la morale. Au contraire, ils ont envie de poser des questions, et plus ils sont jeunes, plus ils en posent. Les petites classes sont d’ailleurs plus réceptives que les grandes, les élèves ont plus de fraîcheur et de spontanéité.
Ont-ils tendance à être répressifs lorsqu’il s’agit, par exemple, de juger un discours à caractère raciste ?
Oui, je les trouve assez durs et répressifs, quel que soit le type de racisme, ils ne laissent rien passer. Mais il n’est pas toujours évident de déceler s’ils expriment leur idée personnelle ou une idée générale, convenue…
Les établissements dans lesquels vous intervenez se situent généralement dans des zones de mixité sociale. Cela se ressent-il sur la « maturité juridique » des élèves ?
Je trouve que le niveau de maturité juridique de la jeunesse est assez élevé, et ce, même s’il y a une différence certaine de niveau et de culture générale entre les classes « générales » et celles dites « internationales ». Leur intérêt et leur participation sont les mêmes, et je dirais même que les élèves venant de milieux dits « défavorisés » sont plus en demande, ils se montrent très intéressés par la société dans laquelle ils vivent. Certains le savent d’autant mieux qu’ils ont une expérience personnelle de la justice, parce qu’ils ont vécu des violences familiales ou une incarcération d’un de leurs proches. Quelques-uns ont même déjà été placés dans un centre éducatif à la suite d’un problème de délinquance. Et ceux-là sont très calés sur l’âge à partir duquel un mineur peut comparaître devant un juge et être condamné. Ce n’est pas pour autant qu’ils rejettent cet enseignement, au contraire, ils préfèrent savoir comment ça fonctionne.
Y a-t-il une différence d’implication entre les garçons et les filles ?
Oui. Les filles ont parfois préparé des questions à l’avance ou prennent des notes pendant l’intervention. Il m’est également arrivé qu’on me remette à la fin de l’intervention un petit résumé d’une réflexion personnelle sur les questions traitées. Elles se comportent de manière « studieuse » tandis que les garçons considèrent davantage les interventions comme une occasion de débattre librement et d’exprimer des opinions personnelles, ce qui est d’ailleurs également l’objectif. Je ne suis pas certaine que les filles aient plus de maturité juridique, mais elles paraissent souvent plus « mûres » que les garçons. Elles ont davantage la notion de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. Les garçons sont davantage dans l’action, quitte à se faire « justice » eux-mêmes. Ils « règlent leurs comptes » entre eux, ils ne « balancent » pas.
L’attentat contre Charlie Hebdo a-t-il impacté les élèves et de quelle manière ? Quelle approche ont-ils du respect d’autrui et de la liberté d’expression ?
Oui, l’attentat a beaucoup impacté les élèves. Dans la plupart des établissements, ce drame a été débattu en classe avec les enseignants. Je ne suis pas certaine que cela a modifié et/ou fait sensiblement évoluer leur perception de la nécessité de « respecter » autrui. Certains enfants n’ont pas vraiment conscience de ne pas « respecter » leurs camarades quand, par exemple, ils se défendent un peu agressivement d’une critique ou d’une agression. En revanche, ils sont clairement très attachés à la liberté d’expression. À cet égard, notre rôle est de leur faire prendre conscience que la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres.