par Anna Pereira
Les premières indemnisations des victimes de l’attentat de Nice devraient tomber dès la fin de la semaine. C’est ce qu’a annoncé Juliette Méadel, secrétaire d’État chargée de l’Aide aux victimes : « Nous veillerons à ce que les victimes, qu’elles soient choquées ou qu’elles soient indirectes soient toutes indemnisées. » Mais cette fastidieuse procédure pourrait rebuter une partie de ceux qui ont été touchés par l’attentat du 14-Juillet.
Si l’aide existe, ses rouages restent complexes. Francetv info a interrogé des victimes du 13 novembre 2015 sur ce processus d’indemnisation, afin d’apprendre de leurs expériences et expliquer comment bien aborder cette épreuve.
Etape 1 : se faire reconnaître comme victime
Comme pour les victimes de novembre dernier, les personnes qui souhaitent bénéficier d’une indemnisation pour l’attentat de Nice doivent commencer par se faire déclarer comme victime aux yeux de la loi.
« C’est compliqué pour certaines personnes, particulièrement celles touchées au niveau psychologique, qui ont vu l’horreur, mais qui n’ont pas été blessées physiquement, de se revendiquer victime », concède Emmanuel Domenach, rescapé du Bataclan et désormais vice-président de l’association 13 novembre. « Elles culpabilisent, ne se sentent pas légitimes, parfois se disent : ‘à quoi bon demander une indemnisation ?’ Mais c’est absolument essentiel de le faire. »
Emmanuel Domenach explique que cette démarche est « la seule façon de mettre des mots sur nos souffrances, la seule façon légale en France de se faire reconnaître comme ayant été touchée par les attentats ». Selon lui, cette démarche permet à ceux qui n’ont été touchés « que » psychologiquement de franchir un premier cap. « Il faut que la victime prenne conscience qu’elle est atteinte pour pouvoir faire la démarche de consulter un psychiatre. »
Les victimes de Nice qui n’ont pas encore été prises en charge et qui voudraient être reconnues comme tel ont le choix entre trois options : elles peuvent soit appeler le numéro de cellule interministérielle d’aide aux victimes, au 01 43 17 56 46 ; soit faire faire cette déclaration par leur médecin, celui qui les a traitées pendant la soirée de l’attentat même, ou un autre médecin, qu’elles peuvent consulter a posteriori ; une autre option consiste à se rendre directement dans un commissariat où elles pourront se faire inscrire sur la liste unique de victimes.
Etape 2 : bien préparer son dossier, preuves à l’appui
Il faut se diriger vers le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), l’entité chargée des indemnisations. Financée par une taxe sur les contrats d’assurance, ce fonds fonctionne comme un assureur. Des preuves attestant de la présence sur les lieux de l’attentat sont donc à fournir.
Emmanuel Domenach souligne que les victimes de Nice « doivent absolument garder toute preuve qu’ils étaient sur les lieux : textos, appels, factures, photos, factures du psychologue consulté dans les premières 48 heures, etc. Le FGTI dit vouloir aider les victimes mais il ne peut pas être à la fois leur avocat et leur juge. Dans les faits il se doit surtout de juger et de trancher de la sincérité des gens qui se disent victimes ».
Les associations d’aide aux victimes d’attentats préviennent d’ores et déjà : les autorités vont devoir faire preuve d’une « souplesse accrue au vu de la quantité de personnes présentes cette soirée-là sur la promenade des Anglais ». Au vu du grand nombre de victimes potentielles – près de 30 000 personnes étaient présentes sur place – et de la difficulté à prouver la présence sur les lieux de l’attentat, il se pourrait que certaines personnes traumatisées soient privées d’indemnisation.
Si pour le Bataclan, il « suffisait » de présenter son billet de spectacle ou la preuve d’un achat, cette fois aucune preuve physique de la présence ne peut être aussi facilement fournie. Patricia Correia est la mère d’une des personnes mortes dans la salle de spectacle en novembre dernier. Elle n’a donc pas eu de difficulté pour démontrer son statut de victime, mais elle s’est faite tout de même accompagner par un avocat, chose qu’elle conseille en particulier aux victimes niçoises : « Ils doivent absolument se faire inscrire sur la liste, insiste-t-elle, vous voyez un camion faucher des gens, il est naturel de fuir, de se protéger, ça ne veut pas dire pour autant qu’ils n’ont pas vécu l’horreur au même titre que les autres victimes. » Elle leur conseille vivement de se faire entourer par des personnes qui connaissent la loi et qui peuvent leur trouver des solutions face aux vérifications du FGTI.
Comme Patricia, Alexis – un rescapé du 13 novembre, est porte-parole de l’association Life for Paris – conseille de se faire suivre par un avocat : « Il est vrai que ça peut aider à gérer les aspects légaux, et à affronter les démarches avec quelqu’un en particulier si on est peu, ou pas entouré. »
Une fois le statut de victime obtenu, le fonds s’occupera dans un premier temps « du plus urgent ». Il versera une première provision, pour parer aux honoraires d’obsèques, ou encore aux frais médicaux et dépenses psychologiques inévitables.
Alexis avoue qu’il est « extrêmement douloureux de devoir prouver son statut de victime, surtout que – comme on a pu le voir dans les médias – certaines personnes ont pu mentir sur leur présence sur les lieux en novembre. C’est dans la nature humaine de vouloir profiter du système, mais dans ce cas c’est simplement honteux ». Alexis déplore ces attitudes, mais explique ainsi le travail minutieux du FGTI : « C’est malheureusement normal que le fonds soit plus suspicieux et que la vérification des preuves soit poussée. »
Etape 3 : aborder le processus avec patience et ne pas se précipiter
Si une première provision est versée dans un délai d’un mois, les victimes risquent d’attendre plusieurs mois avant de recevoir le montant total. L’indemnité définitive, adaptée à leur situation, n’arrivera que plus tard : seule une expertise médicale et psychologique détaillée permet d’évaluer l’ampleur du préjudice des rescapés.
Le montant de l’indemnisation est établi au cas par cas, à l’image de ce qui avait été réalisé en novembre dernier. De la même façon, tout traitement procuré pour les victimes est directement « pris en charge de façon complète par l’assurance maladie, ceci pour les hospitalisés tout comme pour les victimes ayant consulté un médecin pour des blessures moins graves causées par l’attaque sur le promenade des Anglais », a de nouveau assuré Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, au lendemain du drame.
Alexis raconte que « lors de l’évaluation finale, on ne nous donne pas vraiment de barème, les critères restent flous. C’est un processus long : déjà en novembre, des dossiers datant de l’attentat de Charlie Hebdo n’avaient pas encore été bouclés. Je ne peux même pas imaginer comment le FGTI va pouvoir gérer autant de dossiers maintenant avec les victimes de Nice ». Le processus est d’autant plus long que pour chacune des victimes, il faut attendre la consolidation de leur état de santé.
Emmanuel Domenach confirme qu’il faut aborder le processus avec patience: « Il ne faut pas se précipiter mais prendre son temps, la procédure est lourde, l’institution est déjà mal armée humainement pour gérer ce genre de crise, alors avec les milliers de victimes de Nice… L’important est de bien se renseigner et d’être patient. »
Il ajoute que la persévérance est aussi un atout : « Surtout il ne faut pas lâcher : nous nous sommes battus pour certaines victimes du 13 novembre et, au final, nous avons obtenu des indemnités pour des cas qui ont d’abord été rejetés par le fonds de garantie. Les cas a priori non-favorables ne sont donc pas totalement perdus, c’est un travail d’haleine. »