Confronter victimes et criminels: « La peur a laissé place à l’apaisement »

Avec ses deux réformes, Christiane Taubira veut développer « la justice restaurative », ce principe de faire dialoguer auteurs et victimes de délits ou de crimes. Deux expériences ont déjà eu lieu en France mais les résultats sont difficiles à évaluer. Témoignages. 

Elles ont d’abord longuement hésité. Quand on leur propose de participer à la première expérience de « justice restaurative », aussi appelée « réparatrice », Annie et Geneviève craignent que cela les détruise un peu plus. Elles se voient mal discuter des heures entières avec des criminels condamnés pour homicides. Car la première a perdu sa fille, assassinée en 1999 et la seconde sa nièce, violée puis assassinée en 1996. Elles finissent par accepter, avec une troisième personne, d’abord pour « comprendre les motivations » d’un tueur mais aussi dans l’espoir secret d’alléger un peu leur peine. L

’expérience se déroule à la maison centrale de Poissy (Yvelines) en 2010. A la différence de ce qui se fait dans d’autres pays, ce n’est pas une confrontation directe entre bourreaux et victimes mais entre proches de victimes et auteurs d’infractions similaires. « Si c’était le meurtrier direct de ma nièce, je n’aurais pas pu. Cela aurait été trop dur », prévient Geneviève, 70 ans. La seconde expérience vient tout juste de se terminer, en juillet 2014. Son évaluation est toujours en cours. Si elles ont été jusqu’ici rares, ces initiatives vont désormais se multiplier, pour des délits comme pour des crimes et de façon directe comme indirecte. La ministre de la Justice Christiane Taubira a sanctuarisé le principe, « sur la base du volontariat », dans le cadre de sa réforme pénale adoptée cet été. Elle l’a réaffirmé mercredi en présentant sa « réforme sur la justice du XXI siècle » en Conseil des ministres. Il s’agit pour la Garde des Sceaux d' »intensifier sa politique d’aide aux victimes. » Mais aussi de faire baisser la récidive.

Coeur accroché, regard qui change

« De chaque côté, l’expérience est bénéfique. Pour les victimes, elle permet de trouver un peu de réponses. Pour les détenus, à prendre conscience des effets de leurs actes et ne pas les reproduire », explique Michèle de Kerckhove, présidente de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (Inavem), jointe par L’Express. Son association est à l’origine des deux expériences. « Un procès ne permet pas de faire un travail d’introspection, de conscience. Il faut arrêter avec la mentalité française du tout-carcéral, de sanction, et promouvoir la médiation sinon le conflit perdure », poursuit-elle.

Dans le cas de la première expérience, les résultats sont difficiles à évaluer. Deux des trois détenus qui y ont participé purgent toujours leurs peines. Le troisième a été libéré à peu près un an après et n’a pas récidivé. Côté victimes, c’est plutôt positif. « La peur a laissé place à l’apaisement », se souvient Annie, 75 ans. « Ma vie est toujours détruite mais mon regard a changé. J’ai compris que ces hommes capables de commettre des actes graves étaient aussi des hommes capables de réfléchir. » Geneviève, elle, estime que la justice restaurative lui a permis d’aller plus de l’avant et d’être plus tolérante à l’égard de ces détenus, qui pourraient être « ses fils ou ses frères. » « Mais mes blessures sont toujours aussi vives. On ne fait jamais le deuil d’une chose aussi horrible, on vit avec, on dort avec », précise la retraitée. A en croire les deux femmes, il faut néanmoins avoir le coeur accroché pour participer à une telle expérience. Et surtout laisser quelques années s’écouler après le drame, faute de quoi cela peut générer « haine et souffrance. » Les trois victimes ont d’ailleurs été longtemps briefées par une psychologue et toutes les séances se sont déroulées en présence de médiateurs.

« Ils ont compris qu’ils avaient des personnes meurtries en face »

Annie se rappelle de premiers entretiens un peu difficiles, parsemés de quelques moments de silences. « Chacun reste sur le qui-vive mais ensuite chacun a tenté d’aller vers l’autre, peu à peu la confiance s’est établi », raconte-t-elle. Il peut également y avoir quelques moments de tension. Geneviève a par exemple refusé de serrer la main des trois détenus lors de la première rencontre. Et pour des raisons qu’elle ignore encore, l’un d’entre eux lui a fait penser « à son bourreau », elle qui a aussi été victime d’un viol à ses 18 ans.

A leur grande surprise, quelques moments de cordialité, pour ne pas dire complicité, ont émaillé les séances. Geneviève se souvient notamment d’une main sur l’épaule, au moment d’un café au parloir. Car bien évidemment, les détenus ne sont pas menottés. Aucun gardien de prison n’est même présent dans la salle! « A la fin, l’un d’entre eux m’a dit qu’ils ne pourraient jamais oublier la tristesse dans nos yeux. Ils ont compris qu’ils avaient en face des personnes meurtries », se félicite Geneviève. Pour conclure l’expérience, tout le monde s’est échangé un petit cadeau. Deux des criminels ont donné un CD de musique et un dessin fait depuis leur cellule. Si tout le monde en est sorti « grandi », personne n’est resté en contact.

source : L'express.fr
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