L’insécurité est trop attachée aux caractères des individus et à ceux de notre société pour penser que son évolution coïncide strictement avec les changements de majorité politique. Et son traitement échappe aux chronologies simplettes. Le tournant vers une rigueur judiciaire accrue se fait en 2001, dix mois avant la présidentielle. La baisse du nombre de gardes à vue après des années de hausse commence en 2010, au milieu du quinquennat présidentiel précédent.
Aujourd’hui, hormis la période de la Libération, il n’y a jamais eu autant de prisonniers en France : plus de 80.000 écroués et 68.500 effectivement incarcérés pour 57.300 places. Les prisons craquent : le taux d’occupation des seules maisons d’arrêt est de 140 %. Ce n’est pas là la marque d’un laxisme échevelé.
Dans ces conditions, a-t-on dit, il suffirait de construire de nouvelles places de prison.
Cette solution est-elle la bonne ? Pour le savoir, on doit s’interroger non seulement sur ceux qu’on met en prison et le nombre qui s’en évadent (très peu), mais aussi sur l’état de ceux qui en sortent : hormis les morts, tous (rappelons que la durée moyenne de séjour en prison est de l’ordre de dix mois). Autrement dit, que « produit » la prison : des agneaux ou des loups ? Des personnes capables de se réinsérer et de vivre normalement ? Ou des asociaux vivant dans la misère et/ou récidivistes ?
En l’état actuel, la deuxième hypothèse prévaut. La prison ruine et brise beaucoup de ceux qui y passent et elle n’empêche pas une récidive d’autant plus élevée que le délit est modeste dans l’échelle de la délinquance. Si la prison remplit parfaitement son rôle d’exécution de la peine, elle remplit – nonobstant les efforts des personnels – bien médiocrement son rôle d'(de) (ré)insertion et de prévention de la récidive. Faut-il, dans ces conditions, en construire encore ? Un industriel lancerait-il de nouvelles usines de fabrication d’un produit qu’il sait défectueux ? Quel en serait le coût immédiat et à terme ?
La vraie sécurité exige que les sortants de prison ne recommencent pas. Pour qu’il en aille ainsi, il faut mettre en oeuvre une double politique pénale et pénitentiaire.
D’abord, mettre fin à des lois de circonstance, qui ont rencontré le scepticisme très majoritaire des professionnels et remplissent les prisons à coup sûr, sans effet démontré sur la délinquance : les peines dites « planchers » par exemple. On nous en promet l’abrogation. Que n’y vient-on pas ?
Ensuite, comme l’a proposé la conférence de consensus de février dernier, accentuer la mise en oeuvre de solutions alternatives à l’incarcération, en particulier dans le très vaste domaine des « petites peines » qui désocialisent et punissent bien au-delà de ce que prévoit le code pénal (perte du travail, du logement, voire des liens familiaux). Il faut y venir vite.
Egalement, faciliter l’aménagement des peines et la libération conditionnelle, certes bien mal compris de l’opinion et pourtant admis dans tous les systèmes démocratiques : la peine doit suivre l’évolution de la personne après sa condamnation. Des moyens sont nécessaires.
Et aussi, persistons sans craindre l’outrage, mettre en oeuvre, lorsque la prison croule de pensionnaires et de désespoir, une loi d’amnistie. Non par complaisance ou candeur. Mais parce que parmi tous les condamnés à des courtes peines, il est toujours possible d’y choisir des personnes qui se « rangeront » beaucoup mieux dehors que dedans. Répétons-le : l’amnistie est prévue par la Constitution en vigueur, si on l’a oublié.
Enfin, pour ceux qui vont en prison, améliorer le régime carcéral. Traiter avec dignité les détenus, ce n’est pas complaisance, ce n’est pas être « Bisounours ». C’est garantir la sécurité future de notre société.
Une vraie politique de sécurité ne consiste pas à crier « en prison ! en prison ! » comme on criait « à mort ! à mort ! » autour des échafauds. Elle consiste à assurer la punition nécessaire du délinquant, mais également l’aptitude, tout aussi essentielle, à se bien conduire.
Par JEAN-MARIE DELARUE