C’est un véritable choc pour les familles des victimes. Un double choc même. Alors qu’elles venaient d’arriver jeudi pour un temps de recueillement dans les Alpes, elles ont appris par le procureur de Marseille – ou même avant peut-être compte tenu des fuites dans la presse– , une information capitale : le co-pilote de la Germanwings a précipité volontairement l’airbus A320contre les montagnes avec 144 passagers à bord.
Traumatisme supplémentaire
« C’est évident que le fait d’apprendre en arrivant que l’accident n’en était pas un, mais que le crash d’avion repose sur un acte volontaire et délibéré de la part du copilote (…), forcément, ça a été un séisme pour ces familles (…). Ça a ajouté un traumatisme supplémentaire », a commenté Pierre-Henry Brandet, le porte-parole du ministère de l’Intérieur.
Les obstacles au deuil
« Ça va vite, trop vite. Ces éléments suscitent des questions et bousculent les étapes du deuil, regrette Stéphane Gicquel, de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs. Jamais 48 h après un crash nous n’avons eu des réponses aussi précises. Le temps d’enquête est habituellement plus long. »
Mais le doute, l’incertitude, l’attente sont un creuset aux thèses irrationnelles pour les familles des victimes. En résumé, une information rapide et sûre au début de l’enquête facilite le deuil. Que dire des proches du vol MH370 de la Malaysia Airlines qui a disparu dans l’Océan Indien.
« D’où l’importance de l’enquête, explique Pascal Pignol, psychologue au CH Guillaume Régnier à Rennes, spécialiste de l’aide aux victimes. Si les révélations sur l’acte délibéré du co-pilote ne renseignent pas sur les motivations, elles sont une explication, c’est mieux que rien. C’est même très positif d’avoir des réponses 48h après le drame. La rapidité est un facteur apaisant. »
« Ce serait vain de condamner la diffusion rapide de ces dernières informations, concède Stéphane Gicquel. Ce serait pire pour les familles d’apprendre que l’information avait été cachée. Cette accélération est un état de fait auquel les structures d’accompagnement doivent s’adapter. »
« Les familles sont dans la première partie du deuil »
Vient ensuite l’enjeu de l’identification des victimes. C’est pour cela que les autorités mettent des moyens considérables. Gendarmes spécialisés dans l’intervention en montagne et médecins légistes ont été hélitreuillés à partir de 7h45 sur le lieu du crash et les prélèvements sur des familles pour les analyses ADN ont commencé cet après-midi. Les gendarmes « tentent de récupérer tout ce qu’ils peuvent, on ramasse absolument tout ». « Ça va être long, très long, au moins 15 jours », a expliqué le lieutenant-colonel Xavier Vialenc.
Les CUMP ?
Les Cellules d’urgence médico-psychologique UMP ont été créées en 1997 à la suite de l’attentat du 25 juillet 1995 de la station RER Saint-Michel, afin d’assurer la prise en charge des victimes confrontées à un événement psycho-traumatisant. Elles ont permis de mieux comprendre et coordonner l’action et de sensibiliser les politiques à ces questions.
L’importance du rite
Ces éléments objectifs sont un autre moyen de rationaliser les faits, de prouver l’accident et éviter toute interprétation irrationnelle.
Pascal Pignol rappelle que lors de l’accident sous le tunnel du Mont-Blanc, les légistes sont restés des mois sur place pour récupérer des éléments d’identification. « Le corps en lui-même n’est pas fondamental, c’est l’identification. »
L’aspect rituel est un autre aspect essentiel au déroulement du deuil. « L’authenticité partagée et sincère des commémorations, des moments de recueillements, à l’instar de l’accueil des familles des victimes par la population locale sont un soutien », explique Pascal Pignol. Le drame partagé, la solidarité, autant d’éléments positifs qui ne garantissent pas, mais aident au travail de deuil.
Responsabilité et transparence
Et après l’état d’urgence, que faire ? Il n’est « jamais bon de maintenir trop longtemps les personnes dans les cellules de crise », rappelle Stéphane Gicquel.« Le deuil est ensuite une affaire personnelle », renchérit Pascal Pignol. De retour chez elles, les familles doivent se tourner vers des associations et psychologues et comprendre qu’elles seront accompagnées. Savoir vers qui se tourner. Dans un second temps, la question de la responsabilité sera soulevée. L’acte volontaire du co-pilote ne dédouane pas la compagnie. « Elle devra rendre des comptes », explique Pascal Pignol, pour qui l’absence de transparence incite à la victimisation et empêche le deuil.
Antoine VICTOT.