Pour trouver les détenus de la prison de Kerava, en Finlande, il faut simplement remonter une allée bordée d’arbres et ouvrir la porte d’une serre.
« C’est vraiment reposant d’être ici », dit Hannu Kallio, condamné pour trafic de drogue. « Nous avons des lapins. »
Les 70 détenus de cet établissement vont travailler tous les jours dans la serre. Aujourd’hui, ils mettent des jeunes plants en pot en vue d’une importante vente de printemps. Et oui, il y a un enclos à lapins à caresser et avec qui passer du temps. Il y a aussi des moutons.
« Vous êtes mieux ici »
Mais il n’y a ni porte, ni serrure, ni uniforme : c’est une prison ouverte. Tous ont postulé pour y être. Ils gagnent environ 7,40 euros de l’heure, ont des téléphones portables, font leurs courses en ville et obtiennent trois jours de vacances tous les deux mois. Ils paient un loyer à la prison. S’ils choisissent d’étudier pour un diplôme universitaire en ville au lieu de travailler, ils reçoivent une subvention. Parfois, ils partent en séjour surveillé de camping et pêche.
Ces détenus savent qu’il ne serait pas difficile de s’évader. Kallio dit :
« Vous pouvez partir si vous voulez. Mais si vous vous évadez, vous retournez en prison. Vous êtes mieux ici. »
En Finlande, il y a des prisons ouvertes depuis les années 30. A cette époque, elles ressemblaient plutôt à des camps de travail. Maintenant, elles sont la dernière étape d’une peine de prison, avant que les détenus ne retournent à une vie normale. Tapio Lappi-Seppälä, responsable de l’Institut de criminologie de l’université de Helsinki, explique :
« Il n’y a pas l’idée que nous enfermons les gens pour le restant de leur vie, parce que si c’était le cas, il faudrait vraiment investir et s’assurer qu’il existe une possibilité de réhabilitation. »
Ça n’a pas toujours été ainsi. Il y a quelques dizaines d’années, la Finlande avait l’un des taux d’emprisonnement les plus élevés d’Europe. Puis, dans les années 60, des chercheurs scandinaves ont commencé à examiner l’efficacité de la punition sur la réduction de la criminalité. Conclusion : cette efficacité est nulle.
« L’emprisonnement ne sert à rien »
Tapio Lappi-Seppälä dit :
« Ce fut la première fois qu’une recherche aussi cruciale eut lieu et qu’elle montra que l’emprisonnement ne sert à rien. »
Pendant les trente années qui ont suivi, la Finlande a remodelé sa politique pénale petit à petit. A la fin de cette période de « décarcération », la Finlande avait le taux d’emprisonnement le plus bas du continent. Lappi-Seppälä indique que la criminalité n’a pas augmenté en conséquence :
« La leçon finlandaise est qu’il est parfaitement possible de diminuer le recours à l’emprisonnement [de deux tiers], sans influencer la courbe de criminalité du pays. »
En revanche, ce qui a fonctionné fut une réintroduction graduelle à la vie normale, comme ce qu’offrent les prisons ouvertes. Environ un tiers des détenus finlandais vivent dans des prisons ouvertes, et selon l’Agence pour les sanctions criminelles de Finlande, ceux-ci sont moins susceptibles d’être à nouveau arrêtés. Le taux de récidive chute d’environ 20%.
Les prisons ouvertes sont également moins chères. Esa Vesterbacka, responsable de l’Agence pour les sanctions criminelles, explique que le coût par individu diminue d’un tiers en éliminant les besoins en personnel et systèmes de sécurité, ainsi qu’en logeant les détenus dans des dortoirs. :
« Ce n’est pas la raison principale pour créer ce type de prison, mais bien entendu, de nos jours, ce n’est pas plus mal de pouvoir faire moins cher. »
Il y a même une prison ouverte dans l’attraction touristique majeure de Helsinki, l’île de Suomenlinna. L’île est un site classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco et dans lequel les touristes affluent chaque été. Pourtant, seule une clôture jaune sépare la prison d’une zone résidentielle et des musées.
Un système imaginable aux Etats-Unis ?
Lappi-Seppälä indique :
« On ne se rend vraiment pas compte qu’on se promène au milieu d’une prison ouverte. Personne n’y pense. Mais je ne crois pas que les touristes, même les Américains, trouvent cela effrayant. »
Les riverains ont l’air d’être d’accord. La plupart des résidents proches des prisons ouvertes de Kerava et Suomenlinna ont l’air perplexe quand je leur demande s’ils sont inquiets de partager la ville avec des condamnés. Certains me répondent que les prisonniers améliorent la commune en restaurant des sites historiques ou en nettoyant les espaces publics.
Il est tentant de se demander si un tel système pourrait fonctionner dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis, pays qui incarcère le plus de gens au monde.
Heather Thompson est professeure d’histoire à la Temple University : elle étudie l’incarcération de masse et les populations carcérales, et explique que c’est difficile à dire car les Etats-Unis n’abordent pas ce sujet.
« Nous en arrivons tout juste à reconnaître que nous incarcérons bien trop de gens. Nous n’avons pas encore eu de débat sur les conditions de détention, sur ce que les gens vivent vraiment en prison, pour qu’ils en sortent comme des êtres humains entiers. »
Condamné à perpétuité, il rentrera chez lui
Quand j’ai discuté avec Hannu Kallio à la prison ouverte de Kerava, il s’apprêtait à déménager pour passer les derniers mois de sa peine chez lui, à travailler dans un centre de recyclage et à vivre avec sa femme, ses filles et son Jack Russel Terrier.
Un de ses camarades de prison, Juha, qui ne veut pas donner son nom de famille, va avoir son premier enfant. Il purge une condamnation à perpétuité, mais en Finlande, la plupart de celles-ci sont commuées en peines de dix ou quinze ans. « C’est vraiment beaucoup », dit Juha. « Je ne sais pas quand je vais sortir. En fait, c’est sa mère qui va l’élever. »
Juha ne sait pas quand il sera capable de rentrer chez lui dans sa nouvelle famille, mais il sait que ce moment arrivera. Et pour quelqu’un qui a commencé avec une condamnation à perpétuité dans une prison de haute sécurité, cela veut dire beaucoup.