Le suivi des profils radicalisés en milieu « ouvert », hors de la prison, est confié à des associations. Leur accompagnement montre des premiers signes positifs.
Prévenir et lutter contre la radicalisation islamiste. Tel est le cœur d’un nouveau plan gouvernemental, qui doit être présenté par le Premier ministre Édouard Philippe, vendredi. Le projet met l’accent sur la détection des profils radicaux en prison, lieu de « contagion » de l’idéologie djihadiste, mais aussi sur l’accompagnement en milieu « ouvert ». Comment suivre les personnes en voie de radicalisation, celles qui sortent de détention après une condamnation en lien avec le terrorisme (apologie, financement ou tentative de départ en Syrie) ou qui attendent leur procès ? Depuis un peu plus d’un an, la mission est confiée à des associations spécialistes de la réinsertion, bien identifiées par les autorités car elles travaillaient déjà avec l’administration pénitentiaire sur d’autres sujets. Une individualisation mise en place après l’échec de l’approche collective, symbolisée par la fermeture du centre de déradicalisation de Poutourny, faute de pensionnaires.
Un aumônier comme « référent cultuel ». Ces personnes assignées à résidence ou sous contrôle judiciaire, sont adressées à ces associations par décision du juge. Psychologie, religion, réinsertion… Tous les aspects de la problématique, et les professions les représentant, sont associés à la démarche. En Île-de-France, le programme RIVE (recherche et intervention contre les violences extrémistes) est piloté par des professionnels de l’association Apcars, spécialiste de la réinsertion. Il a pour l’instant accompagné 16 personnes, dont deux viennent de quitter le programme à l’issue de leur peine. A peu près autant d’hommes que de femmes, 26 ans de moyenne d’âge.
Le programme s’adapte à chaque cas, proposant par exemple aux personnes suivies l’aide d’un « référent cultuel », qui n’est pas imam mais aumônier en prison. « Sa première démarche est de déterminer avec la personne une base commune de textes, qu’ils reconnaissent tous les deux », explique Samantha Enderlin, directrice de RIVE. « Ensuite, la personne va parfois être demandeuse d’explications sur une interdiction, ou sur l’obligation des cinq prières par jour, par exemple », poursuit-elle. « À ce moment là, ils vont échanger. On impose jamais une lecture de texte, on veut susciter le doute », c’est-à-dire pousser à remettre l’idéologie en cause.
Rétablir l’échange au sein des familles. Un référent « social » accompagne également les participants au programme, allant parfois jusque dans leur famille, pour comprendre leur environnement, ou lever un tabou. « L’objectif, c’est de rétablir la parole autour du phénomène de la radicalisation, ou de la tentative de départ en Syrie », détaille Samantha Enderlin. « Pour que la personne évolue et se réinsère, il faut qu’elle puisse échanger avec sa famille, que ce non-dit n’existe plus. »
Les personnes suivies doivent effectuer au moins six heures d’entretien par semaine, parfois avec un binôme d’intervenants pour croiser les approches, selon un calendrier assez souple : un assigné à résidence peut recevoir à son domicile, tandis qu’un employé sera pris en charge sur ses jours de congé. En fonction des problématiques soulevées par la personne radicalisée, RIVE n’hésite pas à recourir à des intervenants extérieurs, comme un spécialiste du Yémen pour éclairer les rapports entre musulmans sunnites et chiites, ou encore à organiser une visite au Musée de l’Immigration pour permettre à quelqu’un de s’approprier sa propre histoire.
Un programme semblable existe à Colmar et à Mulhouse, où l’association Accord 68 prend en charge les individus repérés par la justice. En novembre dernier, 23 personnes avaient déjà été aidées dans le Haut-Rhin, qui pourrait servir d’exemple à d’autres régions françaises.
« Des signes avant-coureurs positifs ». Après quelques mois d’existence, ces programmes mesurent leurs premiers effets. « Je vois déjà des signes avant-coureurs qui semblent positifs », souligne Samantha Enderlin. « Cela peut être quand la personne commence à douter à poser des questions. Cela peut être aussi quelqu’un qui sortait assez peu de chez lui et qui se réinscrit dans une formation professionnelle ou universitaire, qui se remet dans un schéma plus classique de vie. Cela peut aussi être quelqu’un qui refusait l’assistance d’un avocat, qui préférait s’en remettre à la justice divine, et qui accepte finalement un dossier d’aide juridictionnelle… »
Des premiers retours positifs pour ce programme de prise en charge au compte-goutte, dont le coût par personne est évalué par la directrice de RIVE à 30% de moins qu’une année de détention.
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