4 février 2018, 20:16 CET
Comment faire pour entrer le numérique dans les prisons, au bénéfice des étudiants détenus ? Actuellement, les centres des universités font un gros effort pour généraliser la médiatisation de l’enseignement à distance par un dispositif de cours complets scénarisés en ligne. La médiatisation d’un dispositif en ligne permet alors de développer des scénarios pédagogiques attractifs, de prévoir la possibilité des feedbacks rapides et de favoriser l’interaction entre l’étudiant et le contenu, tout en ne négligeant pas l’accompagnement à distance de l’apprenant. Or, L’enseignement à distance dans les prisons s’apparente encore aujourd’hui aux cours par correspondance.
En effet, les contraintes organisationnelles et matérielles des étudiants prisonniers font qu’ils sont assimilés à des étudiants « non connectés ». Les supports sont donc limités dans un contexte sécurisé à des cours complets « papier » en PDF ou sur autorisation du site pénitentiaire via des CD-ROMS qu’il faut acheminer par voie postale directement auprès du responsable local d’enseignement. En prison, l’accompagnement est un vrai défi car il est plus difficile à organiser sans outils numériques connectés et du fait de l’isolement physique du détenu et des contraintes matérielles.
La poursuite d’études universitaires à distance des personnes incarcérées passe, dès lors, par le déploiement du numérique dans les prisons. Pour cette raison, la direction de l’Administration pénitentiaire et les responsables d’enseignement des prisons ont engagé un projet numérique en détention, dit NED. Actuellement en phase de négociation, il permettra aux agents de l’administration et aux détenus d’accéder à un environnement numérique de travail intégrant une plateforme pédagogique et donnant accès à un lien direct sécurisé avec les enseignants des universités ciblées. Ce dispositif doit faciliter la visibilité des formations en prison et à moyen terme les détenus pourront bénéficier, comme les autres étudiants, de ressources pédagogiques numériques scénarisées mais hors connexion.
Quelle sera l’incidence du développement de cette initiative en terme de dispositif d’enseignement à distance ? Le NED nous laisse imaginer un positionnement intermédiaire entre un enseignement totalement connecté (dispositif médiatisé) et des cours par correspondance. En effet, aucune connexion vers l’extérieur ne sera disponible (pas de pointage vers des sites Internet par exemple). De même, les outils numériques permettant les dépôts de devoirs, corrections en ligne ainsi que les regroupements par visioconférence ne seront pas autorisés.
Rentrée 2018
Cette année 2018, notre fédération, la FIED (Fédération interuniversitaire de l’enseignement à distance) participe au projet en proposant une phase d’expérimentation : l’accès à une plateforme pédagogique hébergeant deux formations attractives pour les étudiants en prison. Ils pourront préparer un diplôme d’accès aux études universitaires, le DAEU, diplôme national donnant les mêmes droits que le baccalauréat pour les options littéraire ou scientifique. Les diplômes DAEU « littéraire » de l’Université Paul-Valéry (Montpellier III) et « scientifique » de l’Université de Franche-Comté seront ces formations pilotes.
Dès le printemps prochain, l’objectif est de créer une plateforme sécurisée pouvant héberger les premiers cours scénarisés disponibles. Le défi est important car il s’agit d’un réel travail de « remédiatisation » des cours et des outils d’accompagnement. Par exemple, pour chaque cours initialement médiatisés pour les cours en ligne des étudiants plus « classiques », il faut supprimer les liens hypertextes externes dans les documents et disposer d’un outil sans rebond (c’est-à-dire sans que des vidéos pointent sur YouTube mais sur des serveurs dédiés).
C’est un bond qualitatif important car la scénarisation des cours avec des vidéos et des animations, permet l’interaction de l’étudiant détenu avec le contenu du cours et les retours en arrière (feedback aussi en cas d’erreur de manipulation…) selon les scénarios d’apprentissage, il devient son propre acteur. Des aménagements doivent permettre par exemple de donner accès hors connexion au contenu des forums, d’organiser les échanges concernant les devoirs d’entraînement et leurs corrections en lien avec le responsable local des enseignements. Pour faciliter ce travail, nous proposons de formaliser un livret pédagogique disponible à l’automne 2018 et qui pourra être diffusé largement auprès des équipes pédagogiques des deux universités dans un premier temps.
En vue de l’expérimentation des DAEU pilotes, nous devons mobiliser les équipes d’enseignants en prison sur l’explication des outils du NED aux étudiants emprisonnés. Afin de favoriser le lien entre le responsable local des enseignements, dans chaque établissement pénitentiaire, et le référent de la formation, enseignant à l’université, un questionnaire détaillant l’environnement de travail en prison (appels téléphoniques possibles ou non, contacts possibles ?..) sera mis à disposition sur la nouvelle plateforme, dans un premier temps à l’université Paul Valéry auprès des étudiants en lettres. Le dispositif sera utile pour savoir ce qu’il est possible de faire, et pour organiser en amont les relais d’information sur les calendriers, l’accès aux sources (articles ou ouvrages à acheminer), organiser les ruptures de cursus (transfert d’un prisonniers, sorties) et envisager la poursuite d’études.
Tutorat
L’accompagnement des étudiants en prison repose aussi sur le déploiement du tutorat. L’Université Paris Est Marne-la-Vallée ou l’Université Paris Nanterre proposent déjà des formations à distance avec tuteur, effectué par des enseignants qui se rendent dans les prisons de la région parisienne. Pour la phase d’expérimentation du NED, l’université Paul-Valéry de Montpellier assurera la formation DAEU littéraire en organisant 4 à 8 heures hebdomadaires de tutorat en prison.
Dans le cadre de la généralisation du NED, nous réfléchissons au développement du tutorat à distance. Le rôle du tuteur est fondamental en tant qu’animateur, spécialiste ou soutien psychologique. Au-delà du tutorat disciplinaire, un tutorat méthodologique déposé sur la plate-forme aidera l’étudiant à partir de fiches méthodologiques, lui facilitera la prise de notes, les synthèses d’articles ou d’ouvrage, etc. Ce dispositif est complété par un tutorat technique (accès et utilisation de la plateforme hors connexion). En l’absence de contact direct, le tuteur échangera par mail auprès du responsable local des enseignements qui transférera l’information au détenu. À terme, on peut envisager un lien direct sécurisé de type banque en ligne. Les personnes mobilisées ne sont pas que des enseignants. Dans de nombreuses universités, le rôle de tuteur peut être confié à des étudiants plus avancés. Pour la phase d’expérimentation du NED, à l’université de Franche-Comté, on espère mobiliser un ancien étudiant du DAEU.
À travers son volet enseignement, l’initiative du NED engage nos gouvernants à prendre en compte les besoins de formations et d’accompagnement des enseignants et des tuteurs avec l’objectif de proposer un meilleur enseignement aux publics incarcérés. Hors des prisons, ces dispositifs ont vocation à être étendus aux étudiants « non connectés » (étudiants de pays francophones sans connexion efficace). Ils visent à renforcer l’accès à l’enseignement supérieur pour des publics empêchés et à favoriser la réussite des étudiants dans le cadre de la concertation sociale.
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