Article de Jean-Marc Leclerc publié le 05/05/2011
Les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont mis en garde, mercredi, contre toute dérive.
«Professionnalisme.» Avec son bel accent lyonnais, le garde des Sceaux, Michel Mercier, a prononcé mercredi ce mot cinq fois pour saluer les efforts des acteurs de la «chaîne judiciaire», et notamment des policiers, dans la mise en place de la nouvelle garde à vue. Comme s’il fallait passer un peu de pommade sur des plaies toujours vives. Il était venu mettre en place avec son homologue de l’Intérieur, Claude Guéant, la commission de suivi de cette importante réforme en vigueur depuis le 15 avril. Une instance composée de quatre parlementaires, dont trois UMP et un centriste, respectivement Philippe Gosselin, Sébastien Huyghe, Catherine Troendel et François Zocchetto.
Dans les locaux modernes et fonctionnels du commissariat du XIXe arrondissement de Paris, les ministres se sont félicités du relatif «bon déroulement» de la nouvelle procédure d’audition des suspects qui impose désormais la présence de l’avocat dès la première heure et accorde le droit au silence à la personne entendue. Le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, a tenu toutefois à divulguer certains chiffres : «Une fois sur deux le gardé à vue réclame la présence de l’avocat. Celui-ci ne se déplace lui-même qu’une fois sur trois.»
Ce qui laisse encore une certaine marge de manœuvre aux membres du barreau avant d’intégrer pleinement dans leur pratique professionnelle ces nouveaux droits qu’ils ont eux-mêmes réclamés. Mais les avocats de Seine-Saint-Denis, il est vrai, sont en grève depuis plusieurs jours. À supposer qu’ils épousent le rythme constaté ailleurs en banlieue, on pourrait raisonnablement estimer qu’une garde à vue sur quatre en région parisienne mobilise, pour l’instant, les avocats dès la première heure.
Mercredi justement, les avocats manifestaient dans toute la France pour monnayer plus chèrement leur intervention auprès des clients, réclamant plus que les 300 euros déjà accordés pour les premières 24 heures de garde à vue, auxquels s’ajoutent 150 euros en cas de prolongation de la mesure. Car, à les entendre, il faut couvrir leurs charges.
Tour de table
Mais le débat à Paris, lors d’un tour de table organisé avec les ministres, situait les enjeux ailleurs. «Le plus important est d’éviter que le policier ne devienne un greffier» , a déclaré le préfet Gaudin. En clair, le greffier des avocats, qui, par leurs demandes d’actes et leurs questions multiples, prendraient l’ascendant sur les OPJ, surtout s’il s’agit d’un ténor confronté à des policiers manquant de bouteille. «Il faut que le policier reste le chef de l’enquête» , a renchéri Michel Mercier. Pour Claude Guéant, la commission de suivi devra veiller à «l’esprit» de la garde à vue : une procédure destinée, dit-il, «à avancer vers la vérité, pour que le coupable reçoive une juste sanction sociale et que la victime soit protégée». Selon lui, «si l’enquêteur devait devenir greffier, il y aurait un problème» .
Le premier flic de France sait que Paris a les moyens de digérer la réforme, à la différence des juridictions de province les plus modestes. Il le dit : «La commission de suivi devra bien examiner les questions qui n’ont pas de réponses dans la loi.» Pour corriger éventuellement par une autre loi les carences les plus flagrantes.