Article de Franck Johannès et Alain Salles, publié sur LeMonde.fr le 16 février 2010
La garde à vue devient un problème politique majeur. Les témoignages, venus de divers horizons de la société, bousculent le gouvernement, qui apparaît débordé alors que le débat a rempli, en quelques semaines, l’espace médiatique.
Chacun connaît dans son entourage quelqu’un qui a été placé en garde à vue et qui en conserve un souvenir traumatisant. C’est un sujet de société qui dépasse aujourd’hui les clivages politiques : Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée, annonce, mardi 16 février, la création d’un groupe de travail sur la garde à vue. Au sein même du gouvernement, Martin Hirsch, a reconnu qu’il avait été placé en garde à vue, il y a quelques années, en marge d’une affaire de santé publique qu’il avait dénoncée. Pour le Haut-Commissaire aux solidarités, elle doit être « profondément modifiée ». Il appelle à « mettre un peu la pédale douce là-dessus ».
Michèle Alliot-Marie, ministre de la justice, tarde à présenter sa réforme de la procédure pénale. Les avocats contestent devant les tribunaux la légalité des gardes à vue, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a condamné la Turquie pour absence d’avocat lors de la garde à vue. La chancellerie propose un dispositif doublement critiqué, par les avocats qui le juge insuffisant et les policiers qui s’inquiètent des nouvelles contraintes. Le projet de la chancellerie prévoit que la garde à vue soit réservée aux délits passibles d’emprisonnement. L’avocat interviendrait à la douzième heure (en plus de la première heure, comme aujourd’hui), avec accès aux procès-verbaux des auditions. Il pourrait assister aux interrogatoires en cas de prolongation, au bout de 24 heures. Le ministère prévoit aussi une interpellation d’une durée de quatre heures, où le « suspect libre » pourra être interrogé sans être placé en garde à vue.
Le ministère de l’intérieur est embarrassé. Officiellement, Brice Hortefeux n’est « pas hostile par principe à une réforme », à condition qu’elle ne donne pas « plus de droits aux délinquants qu’aux victimes » et qu’elle ne constitue pas « une victoire des juges ou des avocats sur les policiers et gendarmes ». Même si le ministre avoue en privé qu’il est « tombé de sa chaise » quand il a découvert le nombre de gardes à vue en arrivant place Beauvau – entre 580 000 officiellement et plus de 800 000 en intégrant les délits routiers –, il n’est pas favorable à une réforme qui passe mal dans les rangs policiers, même s’il la sent inévitable.
Face à l’embarras du gouvernement, les parlementaires ont pris l’initiative. Au moins six propositions de loi ont été déposées tant à l’Assemblée qu’au Sénat, par l’opposition mais aussi la majorité. Le député UMP, Manuel Aeschlimann, –dans un texte cosigné par l’ancien garde des sceaux, Pascal Clément, et des députés qui ne passent pas pour incarner la frange la plus permissive de la majorité, comme Patrick Balkany ou Eric Raoult– demande la présence de l’avocat aux interrogatoires et l’accès aux dossiers. « N’attendons pas que la France soit condamnée par la CEDH! », explique Manuel Aeschlimann, avocat de profession.
Les députés examineront, le 25 mars, la proposition de loi du socialiste André Vallini, qui demande la présence d’un avocat lors des auditions. « Il ne s’agit pas d’une proposition des avocats contre les policiers. J’ai voulu faire le texte le plus simple et le plus consensuel, qui puisse être voté par l’opposition et la majorité », explique l’ancien président de la commission Outreau. Quant à M. Copé, il a pris l’initiative de la création d’un groupe de travail au sein de sa formation: « Il ne s’agit pas de faire une loi pour empêcher les policiers de travailler, mais il faut mettre sur la table le droit des personnes, explique le président du groupe UMP. Le gouvernement est conscient de l’urgence de la réforme, mais peut-être que nous, parlementaires, avons plus de retour du terrain. » Face à la pression parlementaire, la chancellerie campe sur ses positions. M. Hortefeux essaie de désamorcer la critique d’une « politique du chiffre » qui ferait monter le nombre de garde à vue.
Dans un entretien au Journal du Dimanche du 14 février, il a annoncé que « le nombre de gardes à vue ne figure même plus comme simple information de l’activité des services ». Le 27 janvier, il défendait pourtant un amendement au projet de loi de la sécurité intérieure se félicitant « des résultats majeurs » enregistrés de 2002 à 2008, citant « un nombre de personnes placées en garde à vue progressant de 51,52 % ».
La pression parlementaire s’ajoute à celle provoquée par les recours des avocats et les jugements qui invalident ou non les gardes à vue. La Cour de cassation tranchera dans les prochaines semaines. Le sénateur Nouveau Centre, François Zocchetto, a déploré au Sénat, le 10 février, cette profonde « insécurité juridique »