Article de Mathieu Delahousse paru sur LeFigaro.fr le 01 avril 2010
Le procès avait l’allure d’un passionnant colloque sur la garde à vue en France jusqu’à ce que le ton change brusquement. La déposition du directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, a pris la forme d’une mise au point officielle ce mercredi soir devant la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris. Le responsable de la Place Beauvau était cité comme témoin au procès opposant plusieurs organisations d’avocats au syndicat policier Synergie Officier, qui avait assimilé la présence des robes noires en garde à vue à un acte commercial.
Dans un paysage nettement à charge contre la garde à vue à la française, le numéro un de la police nationale vient apporter les éléments à décharge et «faire entendre la voix des policiers». Voix forte, petite fiche parfois en main, Frédéric Péchenard se veut net, voire tranchant, dans son exposé : «Pourquoi cette inflation dans le nombre des gardes à vue ? À cause de la loi ! Quand j’ai débuté ma carrière, il y a vingt-sept ans, elle était une contrainte. Elle est ensuite devenue un espace de droit, permettant l’accès au médecin, l’appel à la famille, l’accès à l’avocat et le fait que le procureur soit immédiatement informé du placement en garde à vue.» Pour Frédéric Péchenard, «les policiers ont été obligés de mettre plus de monde en garde à vue» au fur et à mesure des nouvelles lois. Son intervention vise à briser «le dictionnaire des idées reçues qui fait que le policier est responsable de tout». A ce jeu-là, les gens de justice ne sont pas épargnés. «C’est aux magistrats de contrôler la garde à vue et à personne d’autre (…) Les magistrats qui disent autre chose ne font pas leur métier. J’ai pour ma part toujours œuvrer en bonne intelligence avec les procureurs de la République et les juges d’instruction.»
L’allusion vise les témoins qui se sont succédé sous ses yeux et avant lui à la barre. Leurs propos avaient formé une série de réquisitoires contre la garde à vue. Événement rare : deux magistrats du parquet tiennent ce rôle. Citée par les demandeurs -l’ordre des avocats de Paris, le Syndicat des avocats de France et l’Association des avocats pénalistes- Clarisse Taron livre par exemple un témoignage hors norme. Vice-procureur à Metz, elle dénonce le fait que la garde à vue en France soit devenue «un acte routinier», accentué par l’explosion de leur nombre depuis 2001. «À la louche, jauge-t-elle, la proportion de gardes à vue inutiles doit être de 20%. On doit réfléchir au sens de la garde à vue, alors qu’aujourd’hui, elle est encore une façon de punir, notamment pour les mineurs.»
Dans le registre de la franchise, Jean-Claude Kross, avocat général à la section antiterroriste, est venu, à trois mois de la retraite, livrer quelques leçons de son expérience judiciaire qui l’a vu passer de la robe d’avocat à celle de juge, puis de procureur et enfin de magistrat antiterroriste au parquet général. Au crédit des avocats qui ont conduit le syndicat policier dans le prétoire, le magistrat a les accents de l’évidence : «Je ne pense pas une seule seconde que l’on puisse s’enrichir grâce à la garde à vue. Les avocats qui s’enrichissent sont ailleurs.» Au crédit des représentants policiers qui craignent de voir soudainement leur travail d’enquête balayé par une ouverture trop large aux avocats, le magistrat nuance : «Peut-être, dans une réforme à venir, faudrait-il prolonger la durée de la garde à vue en contrepartie des droits qui seraient accordés aux avocats»… Dans la salle, les débats tournent alors autour des pistes envisageables pour endiguer «l’explosion des gardes à vue» décrite en début d’audience par le journaliste Matthieu Aron, cité lui aussi comme témoin. Il souligne que le nombre de gardes à vue a explosé avec la «culture du chiffre et la pression du résultat» importée en France par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, après une visite aux États-Unis et des rencontres avec le maire de New York, premier promoteur de la «tolérance zéro».
C’est aussi à compter de ce moment que plusieurs avocats avaient commencé à ouvrir le débat sur la garde à vue. «Les syndicats de policiers ont parfois répondu aux caricatures au nom de l’institution», a observé ce mercredi soir Frédéric Péchenard. Et de regretter que le débat du jour se tienne dans un tribunal. Il aurait, dit-il, préféré le tenir non dans le cadre d’un procès mais au cours d’un colloque organisé par l’ordre des avocats.