Article de Franck Johannès paru sur leMonde.fr le 8 septembre 2010
La réforme de la garde à vue, transmise en fin de semaine dernière au Conseil d’Etat, ne convainc guère les avocats ou les magistrats. Certes, la présence de l’avocat pendant toute la garde à vue, présentée comme « une grande nouveauté » par la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie, dans un entretien au Monde mercredi 8 septembre, est saluée comme un progrès, mais le maintien d’une « audition libre » vient singulièrement en restreindre la portée. « On nous accorde de nouveaux droits et on crée un moyen de les contourner », s’indigne Jean-Yves Leborgne, vice-bâtonnier de Paris.
Désormais, si le projet de réforme est adopté, l’audition libre sera la règle, la garde à vue l’exception. Si la personne consent à être entendue librement, elle n’aura aucun des droits du gardé à vue – ni avocat, ni possibilité de prévenir sa famille ou son employeur, et restera à la disposition des enquêteurs « pendant le temps strictement nécessaire à son audition », ce qui est assurément vague. Une première mouture du texte prévoyait une durée maximale de 6 heures, elle ne figure plus dans le texte du garde des sceaux.
La garde à vue est certes encadrée : ne pourra être retenue contre son gré qu’une personne soupçonnée d’avoir commis un crime ou délit puni d’une peine d’emprisonnement, et la garde à vue ne pourra être prolongée au-delà de 24 heures que si elle risque une peine d’au moins un an de prison. Or presque tous les délits sont punis d’une peine d’emprisonnement, d’ailleurs égale ou supérieure à un an dans une écrasante majorité : les enquêteurs pourront placer des suspects en garde à vue pratiquement de la même manière qu’aujourd’hui.
Le contrôle de la garde à vue est confiée au parquet, le gardé à vue doit être présenté au procureur de la République s’il souhaite la prolonger de 24 heures. Cette prolongation peut cependant, « à titre exceptionnel, être accordée par une décision écrite ou motivée, sans présentation préalable ». C’est-à-dire par fax, comme c’est le cas actuellement, et il y a fort à craindre que cette exception reste comme aujourd’hui la règle.
Le procureur, enfin, pourra différer la venue de l’avocat en garde à vue à la douzième heure, « en considération des circonstances particulières tenant à la nécessité de rassembler ou conserver les preuves ». Quelles sont ces circonstances particulières ? Le texte n’en dit mot.
« Ainsi, on peut imaginer qu’une personne interpellée soit entendue dans le cadre d’une audition libre d’une douzaine d’heures, explique Christophe Régnard, le président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). Les policiers peuvent ensuite basculer l’audition en garde à vue, rien ne dit que l’avocat aura accès aux procès-verbaux de l’audition libre. Si le parquet décide enfin de retarder l’arrivée du conseil à la 12e heure, le gardé à vue aura été entendu par les enquêteurs, sans avocat, pendant vingt-quatre heures. C’est un texte qui a été négocié pour faire plaisir aux policiers. »