Louis Gallois (Président de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars)) et Etienne Pinte (Président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE))
Toute personne qui entre en prison est destinée à en sortir, dans un avenir proche ou lointain. Outre son rôle de protection de la société par l’isolement de l’individu, de punition et de réparation pour la victime par la privation de liberté, la prison doit donc préparer la personne à se réinsérer dans la société.
Sans nier la responsabilité de l’individu, l’acte délinquant est aussi le fruit d’un parcours et, comme on le constate souvent, un parcours d’exclusion : 25 % des entrants en prison se déclarent sans ressources et 25 % n’avaient ni logement ni hébergement durable avant l’incarcération.
Dans cette perspective, la récidive est à la fois le résultat d’un échec individuel mais aussi d’un échec social, où le système judiciaire a sa part.
Dès lors, sanctionner de plus en plus lourdement l’individu en faisant de la récidive la preuve de son incapacité à s’insérer dans la société, revient à omettre la part de responsabilité d’une logique pénale qui considère trop la prison comme la solution la plus efficace pour stopper le parcours délinquant.
La peine, rappelons-le, doit viser certes la punition mais aussi l’éducation et donc la mise en œuvre de moyens adaptés à l’individu pour qu’il ne réitère pas un acte délinquant.
Les peines planchers sont en ce sens d’autant moins pertinentes qu’elles ôtent aux magistrats la possibilité d’individualiser la peine. Elles doivent être supprimées.
UNE MULTITUDE D’ACTES DÉLINQUANTS
Il sera toujours aisé de manipuler l’opinion publique sur le sujet en se servant de cas de récidives dramatiques. Mais derrière ces cas médiatisés se cachent une multitude d’actes délinquants, sanctionnés par des peines courtes et contre lesquels la seule logique carcérale ne permet pas de lutter, bien au contraire.
La prison endurcit, génère de la révolte, permet à certains d’étendre leur réseau, crée une rupture par la perte de relations sociales, de logement et parfois aussi d’emploi.
Environ 60 % des personnes entrant en prison à un moment donné y restent moins de six mois, un temps qui ne permet d’enclencher aucun processus d’accompagnement. La prison est, dans ces cas, une peine contre-productive, notamment pour les plus jeunes.
C’est en ce sens qu’elle doit cesser d’être la peine de référence pour laisser la place à des peines de probation. Pour nombre d’actes délinquants, la peine à l’extérieur de la prison, avec un accompagnement adapté, constitue un moyen ô combien plus efficace de prévenir la récidive et donc de protéger la société tout en permettant à l’individu d’y trouver sa place.
La peine hors les murs n’est pas un régime de faveur ou une peine plus douce, mais une véritable peine qui oblige l’individu et vise à le remettre en capacité de vivre au sein de la collectivité.
La prison peut aussi être nécessaire et constituer une menace pour ceux que la peine de probation ne permettrait pas de réinsérer. Mais elle doit alors constituer un temps utile permettant à la personne de s’amender et de préparer son futur.
LIEU DE PERTE DE SA CITOYENNETÉ
C’est la raison pour laquelle, tout en restant un lieu de privation de liberté, elle doit rester ouverte sur l’extérieur permettant aux personnes détenues de ne pas amplifier la désocialisation souvent à l’origine de leur délinquance.
La prison ne doit pas être un lieu où l’on perd sa citoyenneté – la privation de liberté reste une sanction bien suffisante–, mais un lieu où l’on réapprend à prendre part à la vie de la cité, en attendant de la rejoindre en tant que membre à part entière.
Les personnes détenues doivent donc avoir droit aux services de droit commun (santé, pôle emploi,…), doivent avoir accès le plus possible au travail dans le respect du droit du travail et pouvoir ouvrir leurs droits sociaux avant la fin de leur peine pour éviter les sorties sans ressources.
Pour préparer les sorties, les libérations conditionnelles doivent être favorisées. Une étude menée en 2011 montre que le taux de nouvelle condamnation dans les cinq ans de la libération est de 63 % pour ceux qui n’ont bénéficié d’aucun aménagement de peine et de 39 % pour ceux qui ont été suivis en libération conditionnelle.
Pourtant, les libérations conditionnelles en France ne concernent que 10 % des détenus, taux parmi les plus bas en Europe. Parce que la délinquance se nourrit souvent de la précarité et de l’exclusion, agir pour l’insertion est le garant d’une société offrant d’autres perspectives à des personnes que l’économie marginalise.
L’accompagnement social est alors un moyen de prévenir la délinquance, ainsi qu’une solution pour lutter contre la récidive. L’accès à l’emploi – à la formation lorsque nécessaire – et au logement ou, à défaut à l’hébergement, sont au coeur des stratégies d’insertion, pendant et après l’exécution de la peine.
UN RÔLE DE PREMIER PLAN
Aux côtés de l’administration pénitentiaire, les associations d’accueil et d’insertion ont donc un rôle de premier plan à jouer.
La récente conférence de consensus sur la prévention de la récidive qui s’est tenue en février a ouvert la voie vers une nouvelle politique pénale.
En s’inspirant des études et pratiques étrangères, en auditionnant de nombreux experts ainsi que, pour la première fois, des personnes sous main de justice, cette conférence a permis de remettre au gouvernement un ensemble de propositions qu’il revient désormais à la garde des sceaux et au gouvernement de transformer en réformes.
D’autres pays, notamment anglo-saxons, que nul ne considère comme laxistes, ont depuis longtemps fait ces choix et mesuré leur efficacité. L’évaluation objective des politiques pénales est primordiale pour se garder des a priori idéologiques, des modes et des réactions émotives.
Au-delà des moyens qui seront nécessaires et difficiles à trouver dans la période que nous traversons, il faudra également de la pédagogie et du courage politique pour aller à l’encontre des préjugés.
Pour s’exercer efficacement, la justice a besoin de sérénité. C’est avec la même sérénité que nous espérons voir s’ouvrir les débats sur la future loi pénale.