Questions à… Jean-Claude Bouvier, juge d’application des peines à Créteil. Juge de l’application des peines à Créteil, Jean-Claude Bouvier est coordinateur du groupe de travail informel à l’origine, en juin, du rapport «Prévention de la récidive, sortir de l’impasse».
Qu’est-ce que la probation?
Dans la définition la plus simple, il s’agit d’un ensemble de dispositions et de mesures individuelles de suivi des condamnés en milieu libre, en milieu ouvert, hors de la prison. Avec des objectifs préconisés par le Conseil de l’Europe, qui sont notamment la protection de la société et la perspective d’une réinsertion du condamné.
Qu’apporte-t-elle de plus que les dispositifs français?
Il existe effectivement des mesures en France, la plus emblématique étant le sursis avec mise à l’épreuve, c’est-à-dire une peine prononcée par une juridiction qui comporte des obligations générales ou particulières, sous peine d’être emprisonné. Mais il n’existe pas beaucoup d’études sur les limites de ces dispositifs, il y a un net problème d’évaluation. Ce qu’on constate, c’est que, compte tenu du très grand nombre de sursis prononcés, on vérifie seulement si le condamné remplit ses obligations. Ce n’est pas inutile, mais ce n’est pas un gage d’efficacité pour la réinsertion. En revanche, avec les peines de probation, on ne s’intéresse pas seulement au respect des obligations, mais on dégage des axes de travail, souvent complexes, pour la réinsertion, mais aussi sur la gestion des risques, sur ce qui est susceptible de permettre un passage à l’acte. Il faut gérer tout cela avec la personne, sur un projet mobilisateur qui va permettre son adhésion au projet de sortie de la délinquance.
Les travaux internationaux prouvent-ils qu’on ne sort de la délinquance qu’à coups de récidives moindres, mais successives?
Ces théories sont fondées sur la gestion des risques, et l’on est d’abord à la recherche de l’efficacité. Il s’agit de comprendre les facteurs qui ont permis le passage à l’acte; pas seulement les facteurs personnels, mais aussi les facteurs sociaux. Il faut ensuite aller au-delà, mobiliser la personne sur des projets de vie, c’est tout l’intérêt du travail social. Maintenant, il ne faut effectivement pas s’attendre à des sorties soudaines de la délinquance. Elle passe par des phases ou des rechutes qui sont moins graves ; le processus n’est pas rectiligne, mais toutes les récidives ne se valent pas, et porter sur une rechute un regard désespéré serait très vain. En France, le récidiviste entraîne une réaction de mise à l’écart. Alors que les rechutes ne sont pas forcément toutes inquiétantes, si elles progressent vers un résultat.
La société est-elle prête à l’accepter?
Il faut intégrer le problème dans une réflexion plus globale. Suivre quelqu’un en milieu ouvert permet de prévenir la récidive, on le sait, à certaines conditions, qu’il faut mettre en place. Le dispositif d’aujourd’hui est le pire des systèmes, simplement parce qu’il ne donne pas de résultats. On n’arrivera certes jamais à une efficacité à 100%, parce qu’il s’agit de s’intégrer dans des parcours quotidiens de difficulté, ce ne peut être une approche linéaire. Il est de toute façon nécessaire de connaître ce qui se fait dans les autres pays, de comprendre ce qui peut amener un individu à sortir de la délinquance, sans plaquer pour autant des méthodes importées de l’étranger. Il sera peut-être difficile de faire comprendre l’intérêt de la probation, mais on est aujourd’hui dans une telle logique d’impuissance, le système est tellement enkysté que le débat est en train de porter. Réfléchir à une peine de probation est infiniment plus porteur que de continuer à créer des places de prison.
La figure représente la carrière statistique d’un délinquant multirécidiviste. Il commet un premier délit à l’âge de 8 ans et ses comportements transgressifs grimpent au cours de l’adolescence, avec une apogée vers 18 ou 19 ans. Après une relative stabilité jusqu’à 25 ans, ils vont en s’amenuisant jusqu’à 30 ans. Dans un monde idéal, la prise en charge efficace du jeune délinquant serait symbolisée par la zone verte. Il est mis à l’épreuve à 18 ans, et cesse un an plus tard de commettre des délits. Les études anglo-saxonnes se rapprochent davantage de la zone rose : le jeune continue jusqu’à 25 ans à commettre des infractions, mais leur volume diminue rapidement. En l’absence de prise en charge (zone rose foncé), le délinquant s’arrête statistiquement de lui-même à l’âge adulte. La prise en charge du jeune récidiviste permet donc en théorie d’éviter tout le volume des délits de la zone rose foncé.
Propos recueillis par Franck Johannès