Le photographe Philippe Castetbon a réalisé pour l’Observatoire International des prisons deux séries d’images avec huit anciens détenus. La première représente leur vie avant la prison – pour celle-là il a demandé aux anciens prisonniers quelle était l’image qui subsistait, dans leur tête, de cet «avant». Pour la seconde série, le photographe leur a demandé de dévoiler une partie du corps abîmée par l’enfermement. Avant, après. Une manière de dire que la vie continue malgré un passage par la case prison. Mais aussi qu’elle est désormais marquée de traumas, de blessures, physiques et morales. Dans ces photos de la vie d’après, on est dans le détail, souvent invisible si l’ancien détenu ne soulevait pas un pan de chemise, ne disait pas les dents manquantes. On ne devinerait pas les stigmates s’il n’y avait ce passage à l’acte photographique.
Les deux séries de photographies de Philippe Castetbon sont publiées dans le livre Passés par la case prison, qui paraît jeudi (La découverte), et regroupe huit récits écrits par huit écrivains (Virginie Despentes, Marie Darieussecq, Philippe Claudel, Nancy Huston…) qui ont rencontré les anciens détenus photographiés. (1)
SACHA Y.
Avant la prison: «J’ai été retiré de chez moi par la police à l’âge de quinze ans pour ne plus jamais y revenir. Ma mère a quitté le pays alors que j’étais incarcéré et nous avons tout perdu. Je n’ai plus rien de cette époque, aucune photo, pas de bibelot, que des souvenirs.»
Après la prison: «J’ai souvent des maux de tête violents, la cage thoracique oppressée, ce sont des crises irrégulières. Impossible de les faire disparaître. Je n’avais pas ça avant mes incarcérations.»
CHRISTOPHE L.
Avant la prison: «J’ai fait des autoportraits avec mon appareil. La pellicule a eu un problème et deux photos se sont superposées. Cette image reflète de façon involontaire, ma vie d’alors, le meilleur et le pire. J’avais trente ans.»
Après la prison: «Les rides de mon visage sont la trace de mes années passées en prison. J’ai vieilli d’un coup et pris quinze ans. La dureté de la détention et le temps passé enfermé se sont inscrits sur ma peau.»
MATOUB B.
Avant la prison: «C’est mon seul diplôme. Il est pour moi la vie d’avant, quand j’allais à l’école, avant les bêtises. J’ai eu un parcours moyen jusqu’à la troisième. Même si ce n’était pas évident de faire les devoirs à la maison, j’arrivais à suivre en classe. Et je suis fier d’avoir obtenu mon brevet.»
Après la prison: «En prison, un détenu ne cessait de me provoquer. Je lui ai mis un coup de poing, je n’en pouvais plus. Comme j’ai tapé vraiment fort, on m’a emmené à l’hôpital et on m’a posé une broche. J’ai gardé dans la main le souvenir de cet événement.»
MARIE-HÉLÈNE B.
Avant la prison: «L’arrivée à New York sur le France, c’était magique! Je n’ai pas oublié. J’étais coiffeuse sur le paquebot, à la fin des années 1970. J’ai fait le tour du monde. la plus belle période de ma vie.»
Après la prison: «Je suis arrivée en prion avec des dents très abîmées à cause des coups reçus. Je n’ai vu qu’une fois la dentiste, je n’ai pas reçu de soins. Et J’ai perdu le reste de mes dents pendant mon incarcération.»
ANDRÉ V.
Avant la prison: «Ma vie d’avant, c’était les enfants. Et des images, dans les livres, ou des photos que je pensais. Une malédiction, une sexualité anormale, cette attirance.»
Après la prison: «J’ai beaucoup grossi en prison, parce que l’alimentation n’est pas bonne. Je n’ai pas été agressé parce que J’ai réussi à m’inventer une vie, donc je ne garde pas de traces sur le corps. A part ces kilos que je n’ai jamais pu perdre depuis.»
(1) Dimanche, une soirée Maux dits, est organisée au Montfort théâtre pour accompagner la sortie du livre.