Un document confidentiel, relatif à la surveillance des 96 détenus pour terrorisme «en lien avec la pratique d’un islam radical» à la prison de Fresnes, révèle qu’elle incombe à un seul officier «à temps partiel».
Le prosélytisme radical qui gangrène le milieu carcéral est loin d’être éradiqué. C’est en tout cas ce que révèle un rapport explosif de l’Inspection des services pénitentiaires que s’est procuré Le Figaro, «relatif à l’expérimentation du regroupement de personnes détenuespoursuivies pour des infractions de terrorisme en lien avec la pratique d’un islam radical au sein de la maison d’arrêt de Fresnes».
«Multiplication du nombre de registres ou des grilles de repérage (…) qui n’apporte rien en termes d’information», «outils d’observation et de détection du risque de radicalisation islamiste(…) peu opérationnels, incompris des personnels et peu probants» : les constats de ce document confidentiel en date du 27 janvier dernier sont sans appel. Ils rencontrent une cruelle résonance au moment où, en raison des réticences obstinées de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, l’opportunité historique de créer une structure de renseignement pénitentiaire au sein de la Chancellerie a été écartée de la loi sur le renseignement adoptée définitivement mercredi à l’Assemblée nationale.
Avant de rendre leurs conclusions, les experts de l’Administration pénitentiaire ont à deux reprises passé au crible le fonctionnement de l’«unité de prévention du prosélytisme» (U2P) mise en place fin 2014 au sein de la première division, «plus précisément au 1er étage, côté Sud impair, entre la cellule 159 et 181». Après avoir mené une quarantaine d’entretiens allant des «directeurs concernés» aux représentants syndicaux en passant par les «aumôniers disponibles», les inspecteurs ont décortiqué les notes de service, consulté les registres et procédé à un certain nombre de vérifications. Avant de pointer les failles d’un «service de renseignements particulièrement chargé».
Ce titre de chapitre témoigne d’un art consommé de la litote puisqu’il apparaît que la délicate mission d’espionner les radicaux derrière les barreaux de Fresnes repose sur les épaules d’un seul et unique «délégué (…) investi qui ne peut se consacrer à sa mission qu’à temps partiel». De fait, seul le «lieutenant XXX est affecté au renseignement du centre pénitentiaire de Fresnes depuis le mois de septembre 2011». Considérant que ce dernier «n’est pas remplacé pendant ses vacances» mais qu’il doit en revanche suppléer les «deux officiers titulaires au poste du “contrôle”» quand ils sont absents», la mission estime que «cet officier consacre approximativement un mi-temps aux tâches liées au renseignement au sein de la maison d’arrêt». Pour mémoire, le document signé par l’inspecteur général adjoint des services judiciaires rappelle que le «délégué au renseignement a en charge le suivi de 96 personnes détenues», dont 59 à la demande de l’état-major de sécurité («EMS 3»), les autres à la demande de la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) ou du chef d’établissement «à la suite d’informations recueillies ou d’un changement de comportement».
«Absence de transmission d’informations»
Outre la collecte au greffe d’informations contenues dans le dossier pénal, ce fonctionnaire doit réactualiser tous les quinze jours le «trombinoscope» des détenus désignés sous l’acronyme «PRI», pour «pratique radicale de l’islam». Comme si cela ne suffisait pas, le rapport note en outre que «l’état-major de sécurité l’a sollicité à 60 reprises durant l’année 2014 pour obtenir des renseignements sur des personnes détenues qui ne faisaient pas l’objet d’un suivi régulier localement». Regrettant qu’une «place plus importante ne soit pas accordée au partage d’expérience et à l’échange de bonnes pratiques entre collègues», le délégué de Fresnes déplore quant à lui «l’absence de transmission d’informations» lors du transfert d’un «autre établissement qui est de nature à réduire sa capacité à prendre rapidement des mesures adéquates pour leur prise en charge». S’il se félicite des «échanges très riches» d’«informations cruciales» lors de réunions mensuelles organisées chaque mois à Fresnes depuis 2012 avec la Direction départementale du renseignement intérieur (RI, devenue Sécurité intérieure, NDLR) du Val-de-Marne, l’officier déplore que cette «qualité d’échange ne concerne pas les personnes connues des services de police des autres départements de la région Île-de-France». En effet, mentionne le rapport, «seul un tiers des personnes détenues PRI incarcérées à l’établissement» est connu des policiers participant aux réunions. «Pour combler ces lacunes, constate l’Inspection, M. XXX s’appuie sur les relations qu’il a pu tisser à l’époque où il était en poste à l’état-major de sécurité avec des interlocuteurs en fonction aux services centraux du ministère de l’Intérieur». En clair, des canaux officieux qui forgent le caractère dangereusement artisanal d’une collecte de renseignements effectuée hors de tout contrôle.
Confirmant l’inquiétant constat de la commission d’enquête parlementaire sur les filières djihadistes, l’Inspection des services pénitentiaires souligne que «les outils “officiels” permettant un recueil structuré et formalisé de l’information au sein de l’établissement ne permettent pas d’atteindre le résultat recherché». «Il est donc permis de s’interroger sur cette faiblesse qui laisse le champ libre à la persistance d’un travail de renseignement informel, ni transparent ni pérenne», note l’Inspection. En conclusion, la mission s’est «notamment rendu compte que le service de renseignements tirait l’essentiel de ses informations sur des circuits “off” (…) et évoque un paysage des plus embrouillés dans lequel le personnel pénitentiaire a bien du mal à se repérer». À l’heure où le nombre de détenus radicalisés explose derrière les barreaux, la création d’un service de renseignements pénitentiaires à la hauteur des enjeux est plus que jamais impérieux. Actuellement, 313 personnes sont détenues pour des faits de terrorisme, dont 190 pour des faits liés à l’islamisme radical.