Un témoignage exceptionnel. Celui de Joël qui redécouvre la liberté ce lundi après plus de 40 ans passés en prison. Ou comment revivre en société après avoir passé presque toute sa vie en détention ? La loi Taubira, définitivement adoptée cet été, vise à éviter les sorties dites « sèches », sans aménagement.
Normalement, c’était sa dernière nuit en prison. A 61 ans, Joël quitte ce lundi matin le lieu où il a passé la plus grande partie de sa vie : sa cellule. En mettant les pieds hors du centre pénitentiaire d’Ile-de-France où il a passé ses dernières années, il ne devrait toutefois pas être trop dépaysé. Depuis six mois, Joël prépare sa sortie. Une semaine sur deux, il a été en permission dans la chambre d’hôtel parisienne qui l’accueillera dès ce soir, avec son bracelet électronique. Façon pour lui de redécouvrir progressivement « la vie de dehors« .
« Lors de ma première permission, quand je voyais le monde, j’étouffais« , se souvient Joël. « Les gens qui courent, je me disais ‘ils sont fous’« . A 60 ans passés, le détenu n’avait jamais vu Paris. Il découvre le métro – en empruntant les lignes de bout en bout -, gravit la Tour Eiffel et affronte le regard des autres. « J’avais l’impression que c’était marqué ‘prison’ sur mon front » explique l’ex-taulard, visage émacié et tatouages affleurant sous son blouson. Autant d’expériences et de sentiments dont il peut parler avec les professionnels qui l’accompagnent.
Une structure d’appui derrière lui
Chaque jour ou presque lors de ces permissions, Joël passe au Safran, la structure qui l’appuie dans sa réinsertion. L’apprenti homme libre a plein de projets : bénévolat pour des associations d’aide aux démunis, travaux de bricolage pour compléter la petite retraite obtenue grâce à ses années de travail en prison, ou encore inscription à un club de pétanque. « Mais il faut aller lentement si on veut que ça tienne et que ce soit solide« , rappelle Judith Lemauff, chef de service au Safran. « Quand je suis sorti en 2011, je suis parti à fond, abonde Joël, et résultat c’est retour à la case départ« .
C’est-à-dire à la case prison. Il y a trois ans, Joël avait en effet déjà bénéficié d’un aménagement de peine. Il dormait à l’extérieur, travaillait, cela se passait bien. Mais il a été contrôlé dans un débit de boissons alors qu’il a interdiction de les fréquenter. L’alcool, c’est le gros problème de Joël. « Je picole depuis que j’ai 10 ans. Dans ma famille, tout le monde picolait« . C’est d’ailleurs après avoir bu avec deux de ses frères qu’il a tué en novembre 1972. C’était un mois après le décès de sa mère, morte d’un cancer. Quelques années après la disparition de son père, terrassé par une crise cardiaque à table le soir de Noël devant ses 17 enfants.
Il échappe de peu à la peine de mort
Quand Joël est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, il a tout juste 20 ans. Son avocat lui avait garanti que s’il avait été majeur – 21 ans à l’époque – c’était la peine de mort. « Parfois j’aurais préféré qu’on me coupe la tête » lâche aujourd’hui Joël. Rejetant sa condamnation, violent au début de sa peine, il enchaîne mitards et changements de prisons : « J’ai fait le tour de France des maisons d’arrêt« .
Plus apaisé dans les années 90, Joël sortira deux fois, trois ans puis deux, mais il repasse à chaque fois par la case prison. Que ce soit pour conduite sans permis ou bagarre avec des policiers, sa libération conditionnelle est révoquée, la perpétuité retombe. Il aura quand même eu le temps de fonder une famille. Mais la mort subite du nourrisson a frappé son fils. Sa fille n’a que 9 mois quand il retourne en détention.
« Revenir au monde »
Aujourd’hui, Joël n’a plus aucun contact avec les divers membres de sa famille. Tout son réseau social est en prison. « En détention, il est connu, respecté, il a un statut qu’il n’a pas dehors » souligne son conseiller d’insertion et de probation Daniel Clavé. Il faut donc reconstruire. Sans masquer son passé. Aux personnes qu’il a déjà rencontrées, Joël ne cache pas avoir tué. « Elles finiront de toute façon par l’apprendre« .
Se retisser un entourage, retrouver des gens sur qui compter, ça n’inquiète pas spécialement Joël. Sa grande peur, c’est de céder à nouveau face à l’alcool. « L’autre jour, j’ai failli craquer. Je suis allé voir mon médecin qui m’a redonné mon traitement. Je sais qu’il va falloir que je m’accroche« . L’autre crainte de Joël, c’est de ne pas bien gérer le bracelet électronique et ses contraintes horaires. Il ne peut sortir de sa chambre qu’entre 9h et 18h30. Pendant un an. Suivront cinq années de libération conditionnelle avant d’être vraiment libre. Mais rien qu’avec cette perspective, Joël a le sentiment de « revenir au monde« . « Après 36 années aux oubliettes, confie-t-il, je renais« .