TEMOIGNAGE : J’ai rencontré Simon en 2011 quand j’étais bénévole en prison. Il venait de prendre neuf ans pour trafic de stupéfiants. Pendant un an, je suis allée en prison assez souvent. J’ai commencé à me lier d’amitié avec lui.
Quand j’ai appris qu’il allait se faire transférer dans une autre prison, je me suis dit qu’il fallait qu’on reste en contact. J’ai fait comme s’il était dehors : je lui ai donné mon numéro de portable.
Se parler de portable à portable, c’est notre manière de fonctionner. C’était risqué ; encore aujourd’hui, je me dis que suis peut-être sur écoute, mais je ne vois pas comment on pourrait faire autrement.
Les lettres sont autorisées, bien sûr, mais ça paraît tellement archaïque. Et puis, même si tu n’as rien à cacher, tu as toujours l’impression que tu ne peux pas tout dire, ton courrier est lu par l’administration pénitentiaire.
Très chère cabine…
Si tu rates un appel par exemple, tu ne peux pas rappeler. C’est en journée, quand t’es au travail. Si tu peux répondre, ça ne peut guère durer plus de cinq minutes.
Et puis, c’est hyper-cher [encadré ci-contre, ndlr] et à la fin, tu dois envoyer ta facture de téléphone à l’administration pénitentiaire pour prouver que c’est bien ton numéro qui a été appelé.
Alors que de chez toi, tu peux discuter des heures sans être dérangé…
Plus souple que le parloir
Au tout début, j’ai commencé à utiliser le portable les jours de visites aux parloirs.
Si t’arrives avec même deux minutes de retard, ton parloir peut sauter. « Parloirs fantômes », comme on dit. Si t’as une galère de dernière minute, il faut donc pouvoir le prévenir que tu ne peux pas venir.
Les premiers parloirs par exemple, j’ai eu un problème de GPS, je trouvais plus la prison et j’allais être en retard. Je l’ai appelé pour lui dire que je risquais de louper le parloir. Il m’a dit de faire demi-tour et de venir un jour où je serais sûre d’arriver à l’heure. Ça lui a évité de se faire un sang d’encre pour rien puisque si t’appelles la prison au dernier moment pour dire que tu ne peux pas venir, ils ne vont pas forcément prévenir la personne.
Lors des parloirs, la plupart du temps, les surveillants sont très sympas, les familles aussi… mais il y a cette forme d’intimité soumise. Il y a les contraintes de temps aussi : ça me prend une demi-journée pour 1 heure de parloir.
Alors que le téléphone, ça ne remplace pas la possibilité de se retrouver face à face, mais c’est beaucoup plus souple.
Au fond, tu sais que c’est interdit mais tu le fais quand même, parce que c’est tellement anodin. Et c’est absurde quand l’anodin devient répréhensible.
A défaut du ciné ou du resto
Simon est dans un centre de détention, maintenant. Là bas, ça fonctionne en « semi-ouvert » (les personnes détenues sont libres de circuler dans les coursives la journée, avant de regagner leur cellule le soir) et il a une cellule individuelle. Du coup, le soir, on est tranquilles pour se parler.
On s’appelle presque tous les soirs, environ trois heures. La plupart du temps, on se donne de nos nouvelles, on se raconte nos vies.
C’est dingue, mais même si on se voit rarement, il me connaît mille fois mieux que n’importe quel autre mec. De toute façon, il faut qu’on se parle, on ne peut pas faire comme les autres et aller au cinéma ou au restaurant…
En fait, on ne peut pas faire semblant, on est condamnés à se parler.
Pour le sexe, c’est pareil
Je me souviens quand la série « Shameless » passait à la télé, on s’appelait et on posait le téléphone à côté pour les épisodes ensemble. On avait besoin de refaire ce que n’importe qui ferait.
Pour le sexe, c’est pareil. En dehors des parloirs, où certains surveillants détournent les yeux, on a commencé à faire ça par téléphone.
Au début, j’étais un peu gênée… Je me disais : « L’amour ça se fait, ça se dit pas ». Et puis, c’est pas facile, je me demandais s’il allait me juger. C’est comme tes premières expériences sexuelles, sauf que là, tu ne peux pas éteindre la lumière, tu ne peux pas être dans le noir.
T’es obligée de tout montrer, tu dois être encore plus présente qu’en vrai, parce qu’il n’a que ta voix, ton souffle.
Avant, c’était quelque chose de vraiment pas concevable. Maintenant, je me sens beaucoup plus libérée sexuellement. J’ai appris à ne pas avoir honte de ce que je disais et à dire ce qui me plaisait. Et pour réussir à faire jouir quelqu’un alors qu’il est à des kilomètres, il faut avoir de l’imagination !
Ça montre bien que ce n’est pas le Club Med
Avec les smartphones et la 3G, maintenant, certains détenus peuvent envoyer des photos ou avoir Internet en prison. Lorsqu’il s’est fait transférer, on gardait contact par téléphone mais je ne l’ai pas vu pendant près d’un an. Son visage commençait à s’effacer. Un soir, il m’a envoyé une photo de sa tête, ça m’a fait tellement de bien ! Depuis, on continue de temps en temps. Moi, je lui ai présenté ma famille et mes amis comme ça, à coups de photos.
Si les téléphones sont aussi présents en prison, c’est aussi le signe que c’est pas le Club Med. Ça montre combien les gens ont besoin de garder un lien avec l’extérieur, avec leur famille, que c’est vital.
Parce que la prison, c’est une institution totale, qui veut tout régenter, qui veut décider à ta place, te dire combien de temps tu dois voir ta famille, tes proches, dans quelles conditions… Le téléphone, c’est un moyen de résister à ça.