FIGAROVOX/TRIBUNE –
Inquiets de l’état de délabrement de ce service public, les magistrats Laurence Vichnievsky et Gilles Lacan proposent des pistes de réforme.
Deux appels, lancés à un mois d’intervalle, dressent un constat inquiétant de l’état de notre justice.
Le premier, celui de la Conférence nationale des procureurs de la République, nous dit que les magistrats du ministère public, accaparés par des tâches de reporting, de statistiques, de participation à des organismes les plus variés, sans liens toujours avérés avec l’activité judiciaire, ne sont plus en mesure d’assurer dans des conditions satisfaisantesleur mission essentielle: la poursuite des infractions pénales.
Le second est celui des magistrats, avocats et fonctionnaires du tribunal de grande instance de Bobigny, le deuxième du pays. Il nous apprend que des audiences se tiennent sans greffier, que près d’un cinquième des postes de juges et de procureurs ne sont pas pourvus, que les affaires sont jugées dans des délais invraisemblables, que certains délits sont prescrits faute d’avoir été poursuivis.
De cet état de délabrement du service public, il est sans intérêt de rechercher les responsables. Les gouvernements de gauche comme de droite peuvent soutenir, sans mentir, queles budgets de la Justice ont été sanctuarisés au cours des dix dernières années et qu’ils ont même bénéficié d’arbitrages favorables au détriment d’autres départements. La justice doit se réformer elle-même, en ajustant ses missions à ses moyens, à l’opposé précisément de ce que réclament, avec les meilleures intentions du monde, corporations et syndicats
N’attendons pas non plus du prochain gouvernement, quelle que soit sa couleur, qu’il fasse des miracles.
La justice doit se réformer elle-même, en ajustant ses missions à ses moyens, à l’opposé précisément de ce que réclament, avec les meilleures intentions du monde, corporations et syndicats. C’est la seule approche réaliste, dans une période de réduction des déficits et de remise en cause des modèles hérités du siècle dernier.
Plusieurs actions devraient être engagées dans cette perspective.
Réforme de la carte judiciaire
D’abord une réforme de la carte judiciaire, à l’instar de ce qui a été entrepris avec succès en 2007, mais de plus grande ampleur. Il s’agirait de réduire de moitié le nombre des cours d’appel et d’un tiers celui des tribunaux de grande instance, de manière à aligner le premier sur celui des nouvelles régions et le second sur celui des départements. Un plus grand nombre de magistrats serait affecté à chaque juridiction, ce qui permettrait de renforcer leur spécialisation, et donc leur compétence technique,sur la base d’un effectif global en légère diminution.
Alléger le nombre de contentieux
Ensuite, il y aurait lieu d’alléger un certain nombre de contentieux qui contribuent à l’engorgement des juridictions et qui pourraient être traités, au moins en partie et de manière plus économe, par d’autres intervenants publics. Ainsi en est-il du vaste secteur de l’application des peines, de celui de l’exécution en matière civile, de certaines attributions du juge des enfants en matière d’assistance éducative, des affaires de surendettement ou du traitement des contraventions les moins graves au Code de la route.
Restreindre l’objet de la procédure d’appel
Enfin, suivant l’une des propositions de la conférence sur la justice du XXIe siècle, tenue à la Chancellerie au cours de l’année 2014, on pourrait envisager de restreindre l’objet de la procédure d’appel, notamment en matière civile. Il est sans doute anormal que de nouvelles demandes puissent être formées en cause d’appel dans le contentieux prud’homal, mais c’est plus radicalement la recevabilité des moyens nouveaux devant les juges du second degré qui devrait être questionnée, si l’on veut diminuer la charge de travail des cours d’appel. On pourrait aussi imaginer de conditionner la recevabilité de l’appel à l’exécution, totale ou partielle, par l’appelant de la décision qu’il conteste, à l’instar de ce qui existe déjà pour les pourvois en cassation.
Inverser le cours des réformes
Ces réformes, dont la liste n’est pas exhaustive, risquent de soulever de fortes résistances de la part des professionnels de la justice. Ceux-ci ont en commun de vouloir continuer comme avant, avec un contentieux qui s’est massifié et avec la multiplication des droits et recours instaurés par le législateur, en abondant à due proportion les crédits budgétaires.
Mais, d’une part, cela est financièrement impossible, d’autre part, il y a urgence: en février 2014, un détenu mis en examen pour meurtre a été relâché en raison du manque de toner d’un télécopieur du tribunal, aujourd’hui les greffiers du tribunal de Bobigny sont obligés d’acheter eux-mêmes les stylos avec lesquels ils doivent travailler. Il ne s’agit nullement de situations aberrantes mais des symptômes d’une institution au bord de l’implosion.
Il faut inverser le cours des réformes, les politiques doivent prendre leurs responsabilités.