« La justice des mineurs ne doit pas perdre de vue ses fondamentaux et regagner son rang. » Tel est l’un des dix chapitres d’un rapport alarmant publié mardi 9 juin par l’Unicef (lire en bas de l’article) qui pointe du doigt une dégradation des conditions de vie des enfants en France. Mais ce document brosse plus largement un état des droits des enfants dans le pays. Et c’est à ce titre qu’il s’intéresse à la justice et met, d’une certaine façon, la pression sur Christiane Taubira.
Plusieurs propositions formulées par l’Unicef sonnent en effet comme un rappel aux oreilles de la Garde des Sceaux qui promet, depuis des mois, un nouveau texte sur la justice des mineurs. Un projet de loi annoncé pour « le 1er semestre 2015 », qui a pourtant disparu des radars gouvernementaux. On n’en trouve aucune trace à l’ordre du jour du Parlement d’ici à la fin de la session parlementaire de juillet pas plus qu’on ne le retrouve dans l’agenda des réformes présenté il y a quelques semaines par Manuel Valls et qui s’étale jusqu’en décembre 2016.
Mais après le procès en laxisme qu’a intenté la droite à Christiane Taubira pour sa réforme pénale, l’exécutif ne veut pas prendre le risque d’en ouvrir un nouveau. Il faut dire que le texte qui prévoit de revenir sur la fameuse ordonnance de février 45 chère au général de Gaulle mais largement amendée depuis contient une disposition qui ferait bondir l’opposition.
La recommandation 28 de l’Unicef reprend l’une des mesures présentées par Christiane Taubira dans son projet de loi; c’est une promesse de campagne de François Hollande. « Abroger le dispositif des Tribunaux correctionnels pour mineurs (TCM), contraire à l’esprit et à la lettre de la Convention relative aux droits de l’enfant ». Ces tribunaux spéciaux sont chargés de juger les adolescents de 16 à 18 ans, s’ils sont récidivistes et encourent une peine supérieure ou égale à trois ans de prison. Ils sont composés de trois magistrats professionnels: un président, juge des enfants et deux autres juges non spécialisés.
Problème relevé par l’Unicef et qui justifiait le nouveau texte de la Garde des Sceaux: les normes internationales recommandent de ne pas traiter les enfants de 16 à 18 ans différemment des enfants de moins de 16 ans. Ceux-ci sont jugés par des tribunaux présidés par un juge des enfants assisté de deux assesseurs citoyens ayant une expérience des questions liées à l’enfance.
Mais dès 2012, quand François Hollande a évoqué l’idée, puis lorsque Christiane Taubira a rappelé son intention de supprimer ces TCM, plusieurs personnalités ont dénoncé ce choix. Rachida Dati évoquait notamment « un acte irresponsable qui donne un signal de laxisme à l’égard des mineurs récidivistes âgés de plus de 16 ans. La ministre se laisse aller à l’idéologie plutôt que de prendre le temps de découvrir les enjeux de la Justice », taclait l’ancienne ministre. Même François Bayrou qui n’était pas encore très critique vis à vis du gouvernement estimait que ce n’était « pas un très bon signe ».
Quand on voit la violence des attaques dont Christiane Taubira a été l’objet depuis (« Vous êtes un tract pour le FN », lui a lancé le député Gérald Darmanin pendant la réforme pénale), on n’a pas de peine à imaginer quelles seraient aujourd’hui les réactions du parti Les Républicains si le projet était débattu au Parlement.
À quel âge est-on responsable de ses actes?
L’Unicef engage aussi le gouvernement à faire un pas de plus en direction de la protection des enfants. Un pas que Christiane Taubira n’avait pas envisagé de faire dans son projet de loi. « Les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant demande la fixation d’un seuil de responsabilité pénale. (…) La France reste l’un des derniers pays européens à ne pas avoir fixé de seuil. En Allemagne, en Autriche et en Italie, le seuil est de 14 ans, en Suède de 15 ans, et en Espagne et au Portugal, de 16 ans », peut-on lire dans le rapport.
Dans son texte, la ministre de la Justice restait plus sévère, expliquant que tous les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables. En clair, tous les adolescents qui ont « voulu et compris » l’acte qu’ils ont commis. Dès 13 ans, il arrive donc que des mineurs soient incarcérés, à titre exceptionnel. « La France continue de privilégier la notion de discernement », dénonce l’Unicef rappelant que « un traité international prime sur le droit interne ».
Christiane Taubira a été interpellée il y a quelques jours lors de la clôture d’un colloque de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille auquel elle a pris part. « Grâce à vous, nous sommes passés de l’espérance à la confiance. Malgré vous, nous sommes nombreux en ce moment à passer de la confiance à l’impatience », lui a lancé l’ancien ministre de l’Intérieur Pierre Joxe. « Moi, je crois qu’on n’est plus dans l’impatience, mais dans la déception. On a le sentiment que vous êtes isolée dans un gouvernement qui manque singulièrement de courage sur la question de la délinquance des mineurs », a abondé un magistrat.
Consciente des espoirs que son texte avait suscités, la ministre a réaffirmé son intention de se battre pour faire passer le texte. Mais ses marges de manœuvre ne paraissent plus aussi grandes qu’au printemps 2012.