Corinne Audouin, 43 ans, est journaliste à France Inter depuis 1994. Elle a traité plusieurs années durant de la culture et des médias avant, en 2010, de présenter des flashs d’information. Depuis 2011, elle officie au service enquêtes-justices de la station. Avec son collègue Jean-Philippe Deniau, elle couvre les procès – comme celui de l’affaire Bettencourt, qui vient de de se terminer après un mois d’audience (délibéré le 28 mai)
Comment êtes-vous devenue chroniqueuse judiciaire ?
L’envie de justice a toujours été dans un coin de ma tête. Mais j’avais l’impression qu’il fallait avoir un peu vécu avant de se lancer. Il faut non seulement de l’assurance professionnelle, mais aussi avoir eu de l’expérience humaine, avoir ressenti des émotions, pour pouvoir prendre du recul face aux choses complexes dont traite un tribunal – aux assises en particulier, on peut être confronté à beaucoup de violence, qu’il faut savoir mettre à distance, sans tomber dans le jugement moral.
Quel est votre rôle, précisément ?
Le chroniqueur judiciaire est là pour permettre à ses lecteurs ou auditeurs de savoir ce qu’ils ne peuvent pas voir ou entendre, puisqu’au tribunal il n’y a pas de caméra, de micro ou d’appareil photo. C’est un exercice proche de la critique théâtrale : on ressent ce qui se passe, et on le transmet. On doit parfois faire le récit d’une audience de huit heures en une minute et quinze secondes… J’essaie de mettre les dialogues dans ma voix, de jouer avec les silences, les intonations, et de m’octroyer une certaine liberté d’écriture.
Comment vous préparez-vous ?
En amont du procès, on obtient l’ordonnance de renvoi ou de mise en accusation – normalement confidentielle. C’est un gros pavé qui résume l’enquête. On essaie aussi de rencontrer les avocats et les prévenus, quand c’est possible. Il est important de parler aussi à la partie civile, à la défense, et aux témoins.
Vous fixez-vous des limites dans la restitution d’une audience ?
Il faut évidemment faire attention à ce qu’on dit. Certaines choses sont indicibles, comme le détail de l’autopsie d’une fillette. Les détails sordides, vous en donnez deux ou trois pour faire comprendre l’ensemble, mais pas dix. Il faut rester un observateur, ne jamais donner dans le voyeurisme.
Certains procès vous ont-ils particulièrement marquée ?
En 2012, j’ai couvert celui des parents de la petite Marina [une enfant de 8 ans suppliciée par son père et sa mère, ndlr], au Mans. Ce fut très difficile, avec des horreurs explicitées, beaucoup de pleurs. Au premier jour d’audience, le père a raconté sa propre enfance, celle d’un gamin battu, violé. Il tremblait de façon impressionnante. Et là, alors que ce monstre a tué sa fille, vous êtes pris d’empathie. Cela vous met dans des états compliqués, un procès. Cela remet en cause vos certitudes, c’est fascinant… J’aime changer d’idée quinze fois au cours d’un procès, me glisser dans la peau des jurés.
Comment vivez-vous le procès Bettencourt, que vous suivez depuis quelques semaines ?
Il y a toujours des surprises. Par exemple Patrice de Maistre [le gestionnaire de biens de Liliane Bettencourt, ndlr], dont j’avais une image froide et hautaine, est apparu à la barre comme un homme détruit. Pourtant, je ne pensais pas être émue par lui… François-Marie Banier est aussi intéressant, il a eu une enfance terrifiante, a été tabassé par son père. C’est une des clés du personnage, mais il ne s’étend pas sur le sujet.
Vous tweetez beaucoup lors des procès…
Oui, j’ai commencé à live tweeter en 2012, pendant le procès des parents de Marina. J’avais besoin de raconter ce que je vivais, c’était pour moi un exutoire. Avec l’expérience, je trouve que c’est un très bon complément à mes interventions radiophoniques. Je peux détailler les choses en long, en large et en travers ! Pendant les audiences, je prends des notes sur des petits carnets Moleskine – que je conserve ensuite –, et je tweete de l’autre main. Pour préparer mes textes, je pioche dans les citations que j’ai tweetées.
Difficile de décrocher lorsqu’un procès est passionnant ?
Oui, on est accro. Il faut savoir lâcher un peu le soir, alors qu’on est en déplacement, loin de sa famille. Heureusement, on décompresse beaucoup entre chroniqueurs judiciaires : il existe une vraie solidarité, une belle convivialité entre nous. On ne cherche pas le scoop, on observe ensemble, et on s’entraide : quand une collègue d’Europe 1 s’absente pour envoyer son papier, je lui raconte à son retour ce qui s’est passé.