Le Conseil constitutionnel a censuré le 13 août 2015 l’instauration d’une contribution en faveur des victimes, assise sur le montant des amendes pénales, afin de renflouer les caisses des associations.
Son jugement porte toutefois sur la forme du travail législatif, et non le fond du dispositif en lui-même. Le ministère de la Justice n’a donc pas renoncé à la création d’une telle sur-amende, et a annoncé vouloir soumettre de nouveau ce texte au Parlement.
[1]Souvent présentée comme une « taxe sur les délinquants » permettant de financer les associations d’aide aux victimes, la sur-amende que souhaitait installer le gouvernement ne verra pas le jour à la rentrée de septembre. Dans sa décision du 13 août 2015, le Conseil constitutionnel a rejeté l’article 9 [2] qui n’aurait « pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial. »
Une saisine avait été déposée par l’opposition parlementaire, à-propos de toute une série d’articles du projet de loi d’adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne adopté à la fin juillet à l’Assemblée nationale. [3] Les Sages leur ont donné raison, en retoquant pour des raisons de procédures 27 des 39 articles de ce texte : le conseil constitutionnel a considéré qu’il s’agissait de « cavaliers législatifs. »
Censure sur la forme – En août 2014, le même Conseil constitutionnel avait déjà censuré [3]cette contribution victime, considérant à l’époque que le caractère automatique de cette majoration, ou « sur-amende », contrevenait au principe d’individualisation des peines. Dès lors, pour les Sages, cet article avait été déclaré contraire à la Constitution.
Ce n’est pas le motif invoqué, cette fois-ci. Arguant que « des dispositions pénales n’ayant pas pour objet de transposer une directive européenne » ne pouvaient être créées par le biais de ce projet de loi, la décision n° 2015-719 DC du Conseil constitutionnel juge que l’article 9 a été adopté « selon une procédure contraire à la Constitution. »
Sa censure ne porte donc pas sur le fond du dispositif de sur-amende, elle ne fait pas état d’un supposé non-respect de l’individualisation des peines.
Dans un communiqué diffusé jeudi 13 août [4], la ministre de la Justice Christiane Taubira affirme que « le gouvernement prend acte de la sanction du dispositif de sur-amende destiné à financer l’aide aux victimes. Il veillera à ce que cette mesure puisse être de nouveau soumise à l’examen du Parlement dans les meilleurs délais. » Elle se félicite, au passage, de la promulgation du reste de la loi, qui «renforce le droit des victimes. »
Majoration des amendes – Le principe d’une contribution victime remonte à 2012 et à la proposition de la députée de la Drôme, Nathalie Nieson [5], qui avait été chargée par la garde des Sceaux, de plancher sur les moyens d’améliorer le financement de l’aide aux victimes. L’idée se voulait simple : une somme aurait pu être demandée aux personnes condamnées, en sus du montant réclamé par la victime, afin de renflouer les caisses des associations.
Selon les propres mots de Christiane Taubira, lors de l’examen en juillet du projet de loi, « il s’agit de majorer les amendes pénales pour financer l’aide aux victimes, dans la limite de 10 %, en fonction des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale. Nous sommes dans une démarche de justice restaurative, associant les auteurs d’infractions à la prise de conscience de l’aide aux victimes et à la réparation du préjudice subi par celles-ci ».
Si elle avait passé l’étape du Conseil constitutionnel, cette contribution aurait dû être assise sur le montant des amendes pénales et douanières recouvrées mais aussi sur les sanctions pécuniaires prononcées par l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Autorité de la concurrence (ADC), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL). Tel qu’il était prévu, le dispositif aurait toutefois permis au juge ou à l’autorité administrative de majorer, au cas par cas, l’amende ou la sanction pécuniaire, en fonction de critères définis par la loi, conformément au principe constitutionnel d’individualisation des peines.
Dotation budgétaire annoncée – Saluant le « travail considérable des associations d’aide aux victimes, en particulier à travers le réseau de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM) », la garde des Sceaux comptait sur la sur-amende pour leur permettre de « prendre en charge davantage de victimes. » Christiane Taubira avait même annoncé la diffusion d’une circulaire de sensibilisation aux parquets. Avec la décision du Conseil constitutionnel, toutes ses ambitions concernant l’aide aux victimes tombent à l’eau.
A l’époque du vote de la loi, la ministre de la Justice avait par ailleurs indiqué avoir « obtenu une dotation budgétaire de 5 à 10 millions d’euros qui nous permettra de commencer à engager un certain nombre d’actions, par exemple d’aider les associations à améliorer leurs ressources humaines, qu’il s’agisse des effectifs ou de la formation. Nous les aiderons aussi à créer un réseau de référents qui stabilise la relation avec les victimes ». Des projets à priori dissociés du verdict des Sages, qui devraient donc voir le jour.
Des professionnels dans l’expectative – Dans un communiqué publié au moment de l’adoption du projet de loi en juillet, l’INAVEM, qui défendait la création d’une « contribution victimes » depuis de nombreuses années, s’était également félicité du travail accompli [3]. « Ces sommes auront vocation à alimenter un fonds qui complétera le financement des associations d’aide aux victimes, et leur permettront de développer leurs champs d’intervention envers les 300 000 victimes d’infractions et d’accidents collectifs prises en charge chaque année » commentait, alors, cette fédération d’associations. Elles introduisent la notion de responsabilisation des auteurs d’infractions quant aux conséquences immédiates et à long terme subies par les victimes et leur entourage, qui nécessitent une aide et un accompagnement par des services d’aide aux victimes ».
Sur Twitter, l’INAVEM s’est dit déçue [6] et « attend avec impatience un nouveau texte législatif pour financer de nouvelles actions en faveur des victimes. » Le ministère de la Justice semble résolu à répondre à leurs attentes. Le Parlement devra donc examiner dans les prochains mois, pour la troisième fois du quinquennat, la création d’une éventuelle aide aux victimes.
Pascal Weil