Article publié le 10/12/10 sur lexpress.fr
La Cour de cassation doit examiner ce vendredi un pourvoi: celui-ci va l’amener à se prononcer à nouveau sur la conformité de la garde à vue à la française au droit européen, en relation cette fois avec le statut du parquet.
Le 19 octobre, la Cour, plus haute juridiction judiciaire française, déclarait la garde à vue non conforme au droit européen: elle invoquait le « droit au silence » de la personne interpellée et la nécessaire « présence de l’avocat », y compris pour les infractions les plus graves, sauf « raisons impérieuses ». Elle avait donné au gouvernement jusqu’au 1er juillet 2011 pour que de nouvelles règles entrent en vigueur.
Dans son projet de réforme, qui doit être examiné dès la semaine prochaine en commission des Lois et débattu en janvier à l’Assemblée nationale, le gouvernement avait prévu que l’avocat serait présent tout au long de la garde à vue, mais pas pour les cas de criminalité organisée, trafic de drogue ou terrorisme.
Après ce coup de semonce de la Cour de cassation, un nouvel arrêt (dit « arrêt Moulin ») de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg est venu confirmer, le 23 novembre, qu’un magistrat du parquet (procureur) ne pouvait pas être considéré comme une autorité judiciaire indépendante.
C’est à l’aune de ce nouveau rappel à l’ordre venu de Strasbourg que la Cour de cassation va examiner vendredi un pourvoi formé par un avocat, Philippe Creissen, dont la garde à vue avait été prolongée au-delà des premières 24 heures par le procureur de la République. Cet avocat, qui avait été interpellé pour des faits de violences volontaires, estime que la prolongation de sa garde à vue a violé l’article 5-3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui prévoit que « toute personne arrêtée (…) doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ».
La Cour de cassation va donc peser au trébuchet les termes de l’article visé et des différents arrêts de principe pris par la CEDH. Au final, elle doit se prononcer sur la conformité de l’intervention des magistrats du parquet durant les gardes à vue.
« Le pourvoi que nous avons introduit soulève, pour la première fois depuis les arrêts européens, la question de la régularité de la prolongation d’une garde à vue ordonnée par un procureur de la République qui, selon la CEDH, ne peut être qualifié ‘d’autorité judiciaire' » car soumis hiérarchiquement à la Chancellerie, a souligné l’avocat de Philippe Creissen, Me Patrice Spinosi. « C’est, en pratique, le rôle même du parquet comme organe de contrôle de la garde à vue qui est mis en cause et sur lequel la Cour suprême française aura à se prononcer », a-t-il ajouté.
Auditionné jeudi par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, le ministre de la Justice, Michel Mercier, a évoqué à deux reprises ce pourvoi en cassation. Il s’est montré confiant sur la suite car, selon lui, la jurisprudence européenne n’impose une « intervention d’un magistrat du siège » (indépendant) que pour une « privation de liberté supérieure à quatre jours ».
La CEDH n’a « jamais condamné » le fait de « confier au procureur le contrôle des gardes à vue pendant un délai de 48 heures », selon le ministre. Celui-ci s’est déclaré décidé à conserver au parquet un rôle de contrôle de la garde à vue. Tout en surveillant l’arrêt à venir de la Cour de cassation.