Article de Bertrand Bissuel paru sur LeMonde.fr le 20 juillet 2011
Une figure de la lutte contre l’exclusion vient de claquer la porte de manière totalement inattendue. Dans un long entretien à l’hebdomadaire Charlie Hebdo, daté du mercredi 20 juillet, le président du SAMU social de Paris, Xavier Emmanuelli, déclare qu’il quitte ses fonctions « parce que ce n’est plus gérable ».
Sa décision intervient dans un contexte très difficile pour tous les opérateurs, publics et associatifs, qui aident les sans-domicile fixe (SDF). Elle met fin au règne d’un homme de 72 ans, à la fois respecté et critiqué dans le milieu de l’action sociale.
Cofondateur de Médecins sans frontières au début des années 1970, M. Emmanuelli a créé le SAMU social de Paris en novembre 1993, avec l’appui de Jacques Chirac, alors maire de la capitale. Dans son esprit, la mission d’un tel dispositif consistait à aller au-devant des personnes à la rue qui ne peuvent plus appeler les secours – par analogie avec un SAMU médical pour des victimes d’accidents.
Des « maraudes » ont été mises en place, afin de voler à la rescousse des clochards et des sans-logis. Le SAMU social s’est également occupé du « 115 », ce numéro d’appel gratuit que les SDF peuvent composer pour obtenir un hébergement. En 2009, les « équipes mobiles » de M. Emmanuelli ont effectué près de 40 000 « rencontres », et le « 115 » a répondu à plus de 400 000 coups de fil.
Parallèlement, M. Emmanuelli a poursuivi son combat contre la précarité en exerçant d’autres responsabilités. Secrétaire d’Etat à l’action humanitaire d’urgence dans le gouvernement Juppé (1995-1997), il a ensuite été désigné président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, une instance qui a joué un rôle important lors de l’adoption et de la mise en application de la loi sur le droit au logement opposable en 2007.
Aujourd’hui, il « passe [son]chemin » car « l’urgence sociale, personne n’y croit », confie-t-il à Charlie Hebdo. « Ça appartient aux petits hommes gris (…). Les technos, les mecs qui pensent structure, budget et pas souci de l’autre », ajoute-t-il dans un langage polémique, inhabituel chez ce personnage rétif aux coups d’éclat.
Son propos vise l’Etat mais aussi la Mairie de Paris : « Ils se tirent dans les pattes, ils n’ont pas les mêmes objectifs. » M. Emmanuelli avait annoncé, il y a quelques jours, lors d’une réunion du conseil d’administration du SAMU social, qu’il comptait quitter son poste.
D’après l’un des administrateurs, il avait, à cette occasion, exprimé son désaccord sur les restrictions budgétaires et sur les orientations du gouvernement, qui souhaite privilégier l’accès au logement des sans-domicile, l’hébergement d’urgence ne devant servir que de sas vers des solutions durables. Cette politique, dite du « housing first », vise à épauler les nombreux SDF qui multiplient, depuis des mois, les allers-retours entre la rue et les centres d’accueil.
Rigueur financière oblige, la plupart des crédits consacrés à l’urgence sociale ont été revus à la baisse, en particulier celui pour les nuitées à l’hôtel offertes à des milliers de personnes – des étrangers, bien souvent, candidats au statut de réfugié ou en situation irrégulière.
Sur le terrain, la situation est parfois dramatique : ne pouvant pas être prises en charge par le « 115 », des familles entières déboulent dans les urgences d’hôpitaux. Fin juin, un collectif de plus de 30 associations, parmi lesquelles Emmaüs et la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, a dénoncé le « mépris des plus hautes instances de l’Etat envers toutes les situations d’exclusion et de détresse sociale » laissées sans réponse. Quelques jours plus tôt, la fermeture d’une structure d’accueil gérée par le SAMU social de Paris avait soulevé un flot de critiques (Le Monde du 28 juin, disponible en édition abonnés).
Le secrétaire d’Etat au logement, Benoist Apparu, a salué « le formidable boulot » abattu par M. Emmanuelli. Le maire (PS) de Paris, Bertrand Delanoë, lui a également rendu « hommage pour son soutien aux plus démunis ». Tout en partageant ces appréciations, certains acteurs du monde associatif pensent que M. Emmanuelli avait tendance à focaliser son regard sur les SDF les plus désocialisés.
Dans un rapport sur l’urgence sociale en Ile-de-France remis en 2010, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) appelait à changer en profondeur le dispositif. La démarche de M. Emmanuelli a, certes, permis « de renouveler les pratiques de la lutte contre la grande exclusion », écrivait l’IGAS, mais désormais, « il ne s’agit plus de mettre en place des innovations pionnières pour résoudre des situations passagères ». « L’action doit se faire pérenne », concluait-elle.