Des experts psychiatres sont en grève depuis le début de l’année, désorganisant les juridictions, pour protester contre leur faible rémunération.
Daniel Zagury est en colère. Le célèbre psychiatre qui a expertisé les plus grands tueurs en série, de Guy Georges à Michel Fourniret, ne mâche pas ses mots.
« Le système qui régit l’expertise pénale est à peu près aussi efficace que l’étaient les kolkhozes dans l’agriculture soviétique, lance-t-il, ulcéré. Il encourage le vice aux dépens de la vertu. Dans les congrès internationaux, nous sommes ridicules. C’est une honte nationale. »
Dans sa ligne de mire : la tarification de l’expertise pénale, fixée à 277,50 €, avec une majoration de vingt euros dans les affaires de violences sexuelles.
Pour cette somme, un expert requis par un juge doit étudier le dossier et les éventuels scellés, rencontrer la personne mise en cause, souvent en prison et parfois à plusieurs reprises, élaborer une analyse puis la rédiger.
« Plus on travaille, moins bien on est payé »
L’enjeu est de taille : déterminer le degré de responsabilité d’un individu, ce qui l’a poussé à agir et son niveau de dangerosité. Puis l’expert doit se rendre devant la cour d’assises pour expliquer son analyse et répondre aux questions. Le tout pour la coquette somme de… 41 €.
« Que ce soit médiocrement payé, c’est une chose, commente Daniel Zagury. Mais le vrai scandale, c’est que le prix soit fixe, quel que soit le dossier. Concrètement, cela signifie que plus on travaille, plus on y passe de temps, et moins bien on est payé. »
Pour les plus gros dossiers, le psychiatre établit des devis qui dépassent le barème. Mais ceux-ci lui sont régulièrement refusés.
Comme d’autres collègues, il s’est donc mis en grève au début de l’année. À l’origine du mouvement : la publication, le 30 décembre 2015, d’un décret qui exclut les psychiatres de la liste des « collaborateurs occasionnels de la justice » pour les rattacher au régime social des indépendants.
Conséquence : des tracasseries administratives en plus et des cotisations sociales à soustraire aux 277,50 €.
Des conséquences très concrètes
Dans les juridictions, cette grève, peu médiatisée, est une « catastrophe », explique Virginie Duval, de l’Union syndicale des magistrats (USM) : « Dans certains ressorts, on ne trouve plus d’experts. Donc quand l’expertise est obligatoire, les dossiers à l’instruction sont bloqués et les audiences reportées. C’est un problème très concret. »
La situation des experts psychiatres n’est pas nouvelle. « Tant que la justice paiera des experts comme des femmes de ménage, elle aura des expertises de femme de ménage », avait déclaré un expert de l’affaire d’Outreau.
Depuis, la situation continue de se dégrader, dans un contexte de justice « sinistrée », comme Jean-Jacques Urvoas l’a lui-même répété récemment.
Sans experts, il faut compenser
Faute de rémunération correcte, la liste des experts se vide : les psychiatres ne seraient plus que 400 à 480, contre 800 il y a encore quelques années. « Le problème, c’est que les juges ont besoin des expertises, si ce n’est pour le fond, au moins pour la forme, car la loi le leur impose dans un certain nombre d’affaires, explique encore Daniel Zagury. Faute de psychiatres, les magistrats font donc appel à des gens qui ne sont pas spécialistes : des généralistes, des médecins étrangers, des gens qui font de l’abattage en rendant des rapports de cinq pages après avoir passé dix minutes avec le détenu. »
À la Chancellerie, on temporise, assurant qu’un « projet de décret rectificatif réintégrant la plupart des experts » à la liste des « collaborateurs occasionnels » « a fait l’objet d’un consensus interministériel ». La revalorisation des barèmes, elle, sera un autre chantier.
Flore Thomasset