La justice est souvent plus sévère avec les personnes précaires

Pour un délit identique, les prévenus sans domicile ou étrangers écopent plus souvent d’une peine de prison ferme que les autres délinquants poursuivis, selon une étude menée par deux universitaires nantais.

Faute de domiciliation, ces personnes bénéficient moins que les autres de peines alternatives à la prison et ce malgré les efforts faits par les magistrats.

Me Florian Borg, président du Syndicat des avocats de France ne peut que le constater : « Éviter la prison à un SDF ou un Rom, c’est mission quasi impossible ! On sait en tout cas que le dossier sera plus dur à plaider que si l’intéressé était salarié, père de famille, etc. ».

Se faisant un devoir d’intervenir régulièrement en tant que commis d’office, cet avocat n’ignore pas la mobilisation financière de l’État en faveur des justiciables les plus pauvres.

Mais il sait aussi que les plus précaires écopent malgré tout davantage de peines de prison ferme. « L’institution judiciaire reproduit les inégalités sociales à l’œuvre dans le reste de la société. » déplore-t-il.

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Ces inégalités de traitement se vérifient-elles vraiment dans les faits ? Si oui, comment comprendre que les citoyens soient égaux devant la loi, mais pas devant la peine ? Les magistrats sont-ils à blâmer ou l’institution judiciaire elle-même ?

DES RECHERCHES POUR COMPRENDRE LES DIFFÉRENCES DE TRAITEMENT JUDICIAIRE

« Le constat d’une justice à double vitesse n’est pas nouveau, mais l’analyse qu’on en fait a changé », explique Denis Salas, secrétaire général de l’Association française pour l’histoire de la justice.

« Dans les années 1970, les tenants d’une lecture marxiste des choses y voyaient une démonstration de la justice de classe, une forme de criminalisation de la pauvreté. Nous en sommes revenus. On tente désormais d’analyser le système pénal en faisant abstraction de l’idéologie. »

Les recherches sur le sujet se sont multipliées ces dernières années pour tenter de comprendre les éventuelles différences de traitement judiciaire entre les publics incriminés.

L’une des plus ambitieuses a été menée par deux universitaires, Virginie Gautron et Jean-Noël Retière, respectivement maître de conférence en droit pénal et professeur de sociologie à l’université de Nantes.

Ils ont passé au crible, entre 2008 et 2012, pas moins de 3 537 condamnations prononcées par cinq tribunaux correctionnels basés dans l’ouest de la France. Ils ont ensuite comparé – à infraction et antécédent comparables – les peines prononcées, mais aussi le fait que le prévenu ait ou non été placé en préventive.

Leurs conclusions sont sans appel : les prévenus les plus défavorisés et les plus désocialisés écopent plus que les autres d’une peine de prison ferme.

PAS DE DOMICILIATION, PLUS DE PRISON FERME

Toutes choses égales par ailleurs, les prévenus SDF sont ainsi plus de deux fois plus souvent condamnés à de la prison ferme que ceux ayant un domicile. Ils écopent par ailleurs deux fois moins souvent d’une amende. Les prévenus étrangers font, eux, cinq fois plus que les autres l’objet d’un placement en détention provisoire.

« Ces derniers ne sont pas condamnés à des peines plus lourdes du fait de leurs origines », explique Virginie Gautron. « Simplement, aux yeux des magistrats, faute de présenter suffisamment de garantie de présentation devant le tribunal ils sont davantage que les autres jugés en comparution immédiate. »

Or, on le sait, ce traitement judiciaire ultra-rapide expose davantage au risque de la prison ferme.

Par ailleurs, renchérit l’universitaire, « être privé d’adresse exclut certaines peines alternatives à la prison, comme le placement sous bracelet électronique, le travail d’intérêt général ou encore le sursis avec mise à l’épreuve ».

Tous ces dispositifs exigent du prévenu qu’il ait une domiciliation afin, notamment, d’être aisément localisable en cas de manquement à ses obligations.

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LES JURIDICTIONS TENTENT DE S’ADAPTER

Conscients de ces écueils, les juridictions tentent de s’adapter. Certaines font par exemple le choix de ne pas facturer le stage de citoyenneté aux plus impécunieux afin de ne pas les exclure d’office de cette peine intéressante car à forte plus-value pédagogique.

D’autres veillent à limiter autant que possible le recours à la comparution immédiate. D’autres encore tentent au maximum d’aménager les peines de prison ferme au profit d’un « placement à l’extérieur » (1). Charge alors à l’institution de trouver un centre d’hébergement pour le condamné…

« Malheureusement, en temps de disette budgétaire, les financements des structures d’accueil sont loin d’être pérennes, déplore Denis l’Hour, Directeur de Citoyens et Justice, une fédération d’associations sociojudiciaires. Du coup, les associations peinent à accueillir autant de condamnés qu’il le faudrait. »

Le manque de places s’avère notamment criant en région parisienne. C’est moins le cas en province. Les placements à l’extérieur peuvent même, dans certaines juridictions, plutôt bien fonctionner.

« C’est notamment le cas lorsque les juges sont conscients de l’importance que jouent, à leur côté, les associations environnantes et veillent à entretenir avec elles un partenariat de qualité », explique un juge d’application des peines, basé en Bretagne. Preuve que l’égalité de tous devant la justice se joue, aussi, dans ces petits riens du quotidien.

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En prison, un détenu sur deux n’a aucun diplôme

Chaque année, l’Administration pénitentiaire recueille toute une série d’informations portant sur la maîtrise du Français par les détenus et sur leur niveau d’étude.

Les chiffres en date du 1er janvier 2015 attestent d’une surreprésentation des publics en échec scolaire :

– 1,6 % des détenus n’ont jamais été scolarisé.

– 4,8 % ne parlent pas le français, 5,1 % le parlent de manière rudimentaire.

– 43,4 % ne peuvent se prévaloir d’aucun diplôme.

– 76,2 % ne dépassent pas le niveau CAP.

– 22 % des personnes rencontrées échouent au bilan de lecture proposé en détention (10 % sont en situation d’illettrisme, 12 % échouent du fait de difficultés moindres).

Marie Boëton 

(1) Les peines de prison égales ou inférieures à deux ans peuvent être aménagées, c’est-à-dire transformées au profit d’une sanction à exécuter en milieu ouvert.
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