La justice sur un plateau pour le cinéma

Le ministère loue de plus en plus ses palais pour des tournages, une manne bienvenue en temps de crise. La Tête haute, tourné au TGI de Dunkerque avec Catherine Deneuve, fera l’ouverture du Festival de Cannes.

Le ministère de la Justice tient désormais des stands dans les grands salons où se croisent professionnels du cinéma et de la télévision. Qu’a-t-il à proposer? Ses vénérables palais, leurs lambris, leurs plafonds ornés de peintures où la Vertu aux seins nus terrasse le Vice au teint cireux, leurs bancs de bois lustrés par des générations d’avocats et d’assassins. Ou ses jeunes palais de béton, avec leurs plantes vertes anémiques, leurs pendules électriques en panne et leurs prétoires glaciaux. Et même – avec des contraintes importantes – ses prisons.

La demande est en expansion, tant l’écran se prend de passion pour le spectacle de la justice. Jean-François Beynel, le directeur des services judiciaires (DSJ) à la Chancellerie, fait ses comptes: «Entre 2009 et 2014, il y a eu 200 tournages payants, dont 108 en Île-de-France et 29 en région Paca. Rien qu’en 2014 on comptabilise 64 tournages (+ 64 % par rapport à 2013), soit 132 jours, dont 32 en Île-de-France et 22 au palais de justice de Paris.»

Celui-ci, ancienne demeure royale, reste le plus demandé, bien que d’autres édifices – le Parlement de Bretagne à Rennes, notamment – soutiennent la comparaison. C’est ici qu’André Téchiné a tourné la scène du procès de L’Homme que l’on aimait trop, consacré à l’affaire Agnelet. Guillaume Canet y campait l’accusé, face à Catherine Deneuve en partie civile – la mère d’Agnès Le Roux, disparue corps et âme en octobre 1977. Poussant le réalisme à l’extrême, le cinéaste avait même confié le rôle du président à un grand magistrat à peine retraité, Jean-Pierre Getti, plus de 400 procès d’assises au compteur.

Dernièrement, les immenses couloirs de l’île de la Cité ont accueilli l’équipe d’Un coup à prendre, long-métrage de Cyril Gelblat, avec Audrey Lamy en magistrate. Auparavant, Albert Dupontel avait pris possession des lieux pendant plusieurs semaines («une de nos plus belles factures», apprécie M. Beynel), pour son hilarant Neuf mois ferme, avec Sandrine Kiberlain en juge névrosée et, accessoirement, enceinte d’un globophage présumé.

Sans parler des séries télévisées habituées de l’ombre de la Sainte-Chapelle, comme Alice NeversBoulevard du palais et Engrenages. La province n’est pas en reste: La Loi de Barbara, avec Josiane Balasko, a été tournée à Saintes. Josée Dayan vient de filmer un Capitaine Marleau (titre provisoire) avec Gérard Depardieu dans la région montpelliéraine. Pour le cinéma, Catherine Deneuve et Benoît Magimel ont fait escale au TGI de Dunkerque pour La Tête haute ,d’Emmanuelle Bercot, qui fera l’ouverture du Festival de Cannes. Fabrice Luchini présidait les assises à Saint-Omer pour L’Hermine, de Christian Vincent.

La tradition voulait qu’autrefois les bâtiments publics fussent prêtés aux cinéastes. À partir de 2009, un écot symbolique leur a été demandé. Mais aujourd’hui, à l’heure où la Chancellerie compte les crayons à papier, la DSJ a décidé de mettre fin à cette folle générosité – non sans susciter l’ire de certains magistrats allergiques à l’idée de voir monnayer l’espace public: un arrêté de juin 2014 fixe les tarifs, en fonction de la beauté, de la rareté et de la localisation des salles.

Les professionnels de l’image y trouvent également leur compte: «Pour L’Homme que l’on aimait trop ,nous avons tourné cinq jours dans les grandes assises de Paris, explique ainsi Bruno Bertrand, producteur exécutif. Cela nous a coûté un peu moins de 40.000 euros. S’il nous avait fallu les reconstituer en studio, nous en aurions eu pour 120.000 ou 150 .000 euros.»

En 2014, les tournages ont rapporté 482.000 euros à la Chancellerie. La moitié remonte à la DSJ, l’autre est allouée aux juridictions concernées. À l’avenir, des défilés de mode – les maisons de couture trépignent d’impatience – pourraient avoir lieu dans les palais de justice: «Nous ne nous interdisons que ce qui est contraire aux bonnes mœurs», sourit Jean-François Beynel.


Le prix du prétoire

Un arrêté de juin 2014  fixe le prix des lieux disponibles  pour les tournages.

• 7800 €: une journée (film de cinéma) dans une des salles d’Île-de-France inscrites aux Monuments historiques.

• 5000 €: une journée (cinéma) dans une salle d’audience ou une salle des pas perdus richement décorée, en Île-de-France.

• 6240 €: une journée (télévision) dans une salle classée d’Île-de-France.

• 6000 €: une journée (cinéma) dans un salle classé de province.

• 1600 €: une journée (cinéma)  dans une salle lambda  (hall, cour intérieure…) en province

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