La justice tente la déradicalisation en dehors des prisons

Mené dans la plus grande discrétion depuis un an, l’accompagnement intensif de personnes sous main de justice en milieu ouvert donne des premiers résultats.

LE MONDE |   • Mis à jour le  | Par  Jean-Baptiste Jacquin

Cette fois, le ministère de la justice a préféré attendre de voir avant de dévoiler l’expérimentation de déradicalisation mise en place à l’été 2016. Il faut dire que l’échec des précédentes initiatives menées par la chancellerie – les « unités dédiées » – ou par le ministère de l’intérieur – le centre de Pontourny (Indre-et-Loire) – avait été d’autant plus cuisant que celles-ci avaient été lancées à grand renfort de publicité.

Quatorze personnes (huit hommes et six femmes) condamnées ou mises en examen pour association de malfaiteurs terroriste ou dans des affaires de droit commun, mais identifiées comme radicalisées par l’administration pénitentiaire, sont actuellement prises en charge de façon intensive par une équipe pluridisciplinaire en « milieu ouvert ». C’est-à-dire en dehors de la prison. Ces personnes font l’objet d’un contrôle judiciaire, avant ou après jugement. Certaines sont assignées à résidence avec bracelet électronique.

Un dispositif de « mentorat » a été mis en place pour que chacun soit « suivi de très près par un référent social », explique Frédéric Lauféron, directeur général de l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (Apcars), chargé de l’expérimentation. Educateur spécialisé, psychologue, psychiatre, aumônier musulman, l’équipe est disponible six jours sur sept de 9 heures à 19 heures, afin de « ne jamais les lâcher ».

La différence avec les expériences précédentes est le caractère strictement individuel de la prise en charge. Aucun regroupement, aucune réunion collective. Les rendez-vous se font au domicile, dans un lieu public ou à une adresse tenue secrète pour des raisons de sécurité.

« L’objectif est de faire émerger une adhésion de la personne, malgré le contexte contraint d’une démarche imposée par la justice », précise M. Lauféron. Avec des grilles d’analyse psychologique et des modèles d’évaluation de l’extrémisme violent, l’équipe cherche à recenser les facteurs de risque de chaque personne pour identifier ceux auprès desquels un travail est possible. L’administration pénitentiaire et les juges concernés ont un rapport d’étape tous les trois mois.

Retour en prison

La deuxième particularité du processus, baptisé « RIVE » (recherche et intervention sur les violences extrémistes), est que les personnes concernées ne sont pas volontaires. C’est un juge, généralement du pôle antiterroriste de Paris, qui leur a imposé d’entrer dans ce dispositif pour une durée d’un an minimum. La menace d’un retour en prison pèse si la mesure n’est pas respectée. La montée en puissance de RIVE se poursuit et pourra atteindre jusqu’à cinquante personnes prises en charge.

Les premiers résultats du dispositif, confié dans le cadre d’un marché public à l’Apcars, sont jugés encourageants, au moins d’un point de vue méthodologique. Au point que sa duplication devrait faire partie du plan de prévention de la radicalisation qu’Emmanuel Macron a promis pour la fin de l’année. Un comité interministériel devrait se tenir à ce sujet sous l’égide du premier ministre prochainement.

L’administration pénitentiaire était extrêmement réticente à l’idée d’ébruiter cette expérience, de peur qu’elle soit mal comprise par l’opinion publique. De fait, il peut paraître surprenant que des personnes poursuivies dans des affaires liées au terrorisme ou soupçonnées de radicalisation islamiste ne soient pas en prison. Il ne s’agit bien évidemment pas d’auteurs d’attentat ni même de personnes ayant participé à la préparation de tels actes.

Désengagement de la violence

Pour comprendre la démarche, il faut remonter au 26 juillet 2016. Le choc de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) s’était doublé d’un vent de panique à la chancellerie alors que l’un des auteurs, Adel Kermiche, était au moment des faits soumis à un contrôle judiciaire avec notamment un bracelet électronique.

Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux, avait demandé à l’administration pénitentiaire d’expérimenter au plus vite un programme de déradicalisation destiné au milieu ouvert. Car le sujet n’est pas marginal. Le nombre de personnes suivies par les services pénitentiaires en dehors des prisons et poursuivies ou condamnées pour des faits liés au terrorisme atteint aujourd’hui 135 sur l’ensemble de territoire.

Alors que Nicole Belloubet, ministre de la justice, a visité le dispositif, jeudi 9 novembre, l’idée est désormais de « modéliser » l’expérience RIVE, limitée à l’Ile-de-France, afin de l’étendre au reste du territoire. L’un des objectifs du marché confié à l’Apcars était d’ailleurs de valider scientifiquement les concepts et leur mise en œuvre.

« Les quatorze ont tous pris conscience que leur radicalisation est un problème », assure Géraldine Blin, qui pilote le projet à la direction de l’administration pénitentiaire. C’est la première étape d’un processus de désengagement de la violence qui peu prendre plusieurs années. Au début, ils étaient dans le déni, estimant que le problème était davantage le regard de la société sur leur idéologie. « Le but est de leur donner envie de se réinsérer », explique l’un des travailleurs sociaux de l’équipe. Ils sont accompagnés dans leur démarche de formation. Les signes sont modestes, mais existent, comme la reprise de la scolarité d’un des jeunes (tous majeurs) pris en charge.

L’expérience, conduite avec l’Apcars pour deux ans renouvelables une fois, sert également de laboratoire pour nourrir la réflexion sur les futures sorties de prison des personnes condamnées. La préoccupation du ministère de la justice est d’éviter des sorties sèches, sans accompagnement, pour des personnes condamnées à cinq ou sept ans de prison, pour des délits secondaires liés au terrorisme. Pour l’heure, alors que l’échéance approche, aucune solution n’existe.

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