Article publié sur LeMonde.fr le 13 avril 2010
La Ligue des droits de l’homme (LDH) dresse le portrait d’une justice « bafouée », « dure aux faibles » mais « paralysée face aux puissants » dans son « Etat des droits de l’homme en France » 2010, un rapport annuel de 124 pages présenté mardi 13 avril à Paris. « La situation de la justice en France est dramatique, face à la crise sociale, le pouvoir politique trouve des dérivatifs dans le sécuritaire et pour cela, on utilise la justice […]. On a multiplié le nombre de détenus par deux en vingt ans, et les Français n’en sont pas deux fois mieux protégés », a déclaré le président de la LDH, Jean-Pierre Dubois, lors d’une conférence de presse.
Fondée en 1898, à l’occasion de l’affaire Dreyfus, la LDH dépeint dans cet état des lieux une justice « manquant cruellement de moyens », « trop lente ou trop expéditive », « de plus en plus lointaine », « sous contrôle du pouvoir » et « sans cesse plus répressive ». L’organisation de défense des droits de l’homme s’indigne du fait que la justice a été en 2009, selon elle, « plus lourde pour les cibles du pouvoir » et « plus attentionnée » pour les plus favorisés, à travers notamment les projets touchant à la dépénalisation du droit des affaires. « On n’est pas loin du bouclier pénal », a estimé M. Dubois.
La LDH dénonce aussi la « pénalisation des conflits sociaux ». Evelyne Sire-Marin, magistrate à Paris qui a rédigé le chapitre consacré au social dans ce rapport, a estimé que « la justice est très lente pour reconnaître les maladies professionnelles, mais extrêmement rapide quand les salariés occupent leur usine ». « Les conseils des prud’hommes gênent le Medef, un quart d’entre eux sont démantelés et on fait une loi sur les licenciements à l’amiable qui permet de contourner la loi. »
Le rapport cite aussi « le considérable alourdissement » des peines de prison ou « l’annonce d’un ‘code pénal des mineurs’ essentiellement tourné vers le répressif ». La LDH attaque l' »idéologie victimaire » et le « populisme pénal » qui conduisent à une « réponse législative frénétique à chaque fait divers dramatique ». Me Henri Leclerc, autre rédacteur du rapport, a dénoncé « la dictature de l’émotion », qui conduit chaque fois à de nouvelles lois « qui rendent la procédure plus complexe, incompréhensible et parfois incohérente ».
Pour Jean-Pierre Dubois, la politique gouvernementale oppose les « bénéficiaires de l’ordre » à de nouvelles « classes dangereuses » qu’il faut « maîtriser » et dont font partie les jeunes, les pauvres, les étrangers, les banlieusards… « La justice est plus dure dans les banlieues, plus douce avec les délinquants financiers. » « Les logiques à l’œuvre ne relèvent plus du traitement des causes des déchirures mais de la fragmentation sociale, de la stigmatisation, de la surveillance et de la punition. »
La LDH dénonce aussi le doublement du nombre de gardes à vue et la durée des peines : « Aucune démocratie ne peut demander à la justice pénale de réduire par toujours plus de sanctions et d’enfermement toutes les fractures qui la traversent. » « En démocratie, l’état de la justice est un marqueur extrêmement fiable de l’état des libertés, de l’égalité réelle et de la séparation des pouvoirs », conclut le président de l’association.