« La prison est un lieu qui abîme »

Pendant deux ans, Hélène Erlingsen-Creste a poussé la petite porte en fer de la prison d’Agen. Elle a traversé ses longs couloirs froids, entendu les cris des détenus, senti l’air teinté d’un mélange de javel, d’humidité et de relents de cuisine.

Couloir après couloir, elle retrouvait cette petite salle éclairée par un double néon blanchâtre au plafond et s’installait derrière un bureau, entourée du chef de détention et d’un surveillant, avant de voir défiler des détenus, arrogants parfois, écorchés souvent, abîmés tout le temps.

Hélène Erlingsen-Creste a été citoyenne assesseur, siégeant dans la commission de discipline de la prison d’Agen qui sanctionne les manquements aux règles des détenus. Chaque année, ces « tribunaux des prisons » prononcent 55 000 sanctions à l’encontre des prisonniers qui peuvent faire jusqu’à 30 jours de mitard. Cette ancienne journaliste, docteur en sciences politiques, raconte ce lieu clos, aux délibérations secrètes, dans L’Abîme carcéral.

Le manque de tout

Trois après-midis par mois, elle y a entendu des hommes et des femmes. Des condamnés qui ont été jugés et des prévenus qui attendent de l’être. Elle a tout noté : les mains abîmées, les silences, les larmes retenues, les insultes. Et le manque… de tout. À commencer par l’intimité. « La peine de prison ne se limite pas à la privation de liberté. Elle entraîne aussi la suppression d’un droit essentiel, celui d’un espace privé, fondement de l’identité personnelle et de la relation à autrui », note l’auteur. « 9 mètres carrés, c’est la superficie réglementaire d’une cellule de prison. Mais pour combien de personnes ? » questionne Hélène Erlingsen-Creste, pour qui, « contrairement aux idées reçues, la justice est de plus en plus sévère et la conséquence directe de cette politique est une aggravation de la promiscuité dans les établissements pénitentiaires ». « Moi j’ai été à six dans une cellule d’environ 20 mètres carrés ! C’était l’enfer », dit un détenu. « C’est difficile, je suis le seul non-fumeur dans une cellule de six. Il y a des moments où on ne se voit plus ! » explique un autre.

La vie en dehors des murs de la prison les obsède. Le manque des autres, ces familiers, les hante. Pour pallier cela, les détenus utilisent les téléphones portables, bien qu’ils soient interdits. Ils leur sont « livrés » par « déperchage ». Le principe est simple : le proche d’un détenu lance un objet de la rue vers la cour de promenade, lequel atterrit dans le filet de sécurité qui la surplombe. De l’autre côté, le détenu « déperche » le colis en trouant le filet avec un yoyo fabriqué avec une corde de draps tressés ou une chaussette tirés par les uns vers le bas et par d’autres dans l’autre sens pour casser le grillage. « Un trafic généralisé de portable s’est durablement installé en prison, où une puce peut se louer jusqu’à 300 euros la journée », affirme Hélène Erlingsen-Creste qui, comme le contrôleur général des lieux de privation de liberté, se dit favorable à leur autorisation. Un « facteur considérable d’apaisement » de la détention, assure-t-elle.

Mais il n’y a pas que les téléphones qui atterrissent sur les filets de la cour, il y a aussi ces mini-bouteilles en plastique remplies d’alcool, ces boulettes de haschich et ces grammes de poudre. « La prison abîme et le système tel qu’il est aggrave les comportements, analyse Hélène Erlingsen-Creste. En prison, un violent frappe ses codétenus, un voleur rackette, un drogué se shoote et trafique. » Rien ne change.

Impunité

« L’univers carcéral est le lieu par excellence d’une hiérarchie officieuse. En fonction de sa position dans la délinquance, de son pouvoir et de ses antécédents, tel détenu pourra prétendre à être plus ou moins respecté et à disposer d’une impunité ou de droits sur les autres, explique-t-elle. Il y a aussi ceux qui font pression sur les autres par le biais d’un islam radical. Ils prêchent et sanctionnent leurs codétenus en faisant leur propre lecture du Coran dans leur seul intérêt. Tout ça, je l’ai vu en commission. »

Hélène Erlingsen-Creste ne décolère pas contre ces parlementaires qui n’utilisent pas leur droit de visite des établissements pénitentiaires alors que, comme les y autorise la loi du 15 juin 2000, ils peuvent le faire « à tout moment ». « Le système carcéral, tel qu’il est aujourd’hui, est un échec patent aussi bien pour le détenu que pour la justice et la société », constate-t-elle. « En quoi le droit de punir participe-t-il à la justice ? » « La véritable justification de la prison serait-elle plus politique qu’éthique ? » s’interroge-t-elle. « Ce qui justifie le châtiment légal, c’est avant tout le souci du corps social, alors que la punition devrait aussi pouvoir contribuer à faire du détenu un homme plus juste. »

« L’Abîme carcéral, une femme au sein des commissions disciplinaires », d’Hélène Erlingsen-Creste, éditions Max Milo, 18 euros. 

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source : Lepoint.fr
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