Flore Thomasset, le 11/04/2017 à 17h55
Le nombre de détenus ne cesse de croître en France, et la surpopulation carcérale bat des records, avec, au total, près de 11 000 détenus de plus par rapport aux places disponibles.
Une situation explosive qui s’explique par le fait que la prison reste une peine de référence, malgré la création de différentes alternatives.
Un rendez-vous entre l’intersyndicale de Fleury-Mérogis (Essonne) et l’administration pénitentiaire était prévu mardi 11 avril, après un regain de tensions dans la plus grande prison d’Europe.
Le nombre de détenus baisse partout en Europe… sauf en France. C’est ce qu’a révélé le Conseil de l’Europe dans un rapport publié il y a un mois. Le pays est même en train de battre un triste record, avec près de 69 500 détenus pour 58 664 places disponibles.
« La France continue sur la lancée presque constante des cinquante dernières années à toujours enfermer plus, pour des délits de moins en moins graves et pour de durées de plus en plus longues, dénonce le sociologue Didier Fassin, auteur de Punir (1). Le toujours plus de carcéral, marque de l’extrême droite puis de la droite, est entré dans les programmes du social-libéralisme ». Avec lui, plusieurs observateurs dénoncent ainsi « le triomphe du populisme pénal » en France, alors qu’une tendance inverse s’amorce dans plusieurs pays d’Europe.
« La prison est au cœur du système »
Pour la plupart des spécialistes, la prison reste ainsi la peine de référence. « Même pour les peines effectuées en milieu ouvert, on parle en France de peines ’’alternatives à la prison’’, et non de peines appliquées dans la communauté, comme c’est le cas dans les institutions internationales, commente le chercheur et spécialiste Pierre-Victor Tournier. La prison est au cœur du système. » Il rappelle qu’en matière délictuelle, « 52 % des peines prononcées sont des peines d’emprisonnement – même si les 2/3 d’entre elles sont assortis du sursis total ».
Pourtant, en matière d’alternatives, « les outils existent en droit et beaucoup a été fait dans ce sens ces dernières décennies », rappelle Olivier Leurant, magistrat et directeur de l’École nationale de la magistrature. Ces peines alternatives sont le fruit d’une longue histoire de politique pénale, commencée en 1791 avec le premier Code pénal. « À cette date, la prison devient la peine de référence, l’idée étant que l’homme est amendable, que la détention peut le rendre meilleur et le ramener à la société », explique l’historien et directeur de recherche au CNRS Marc Renneville, qui souligne les deux conditions alors posées : le travail et l’éducation morale et religieuse.
« Les alternatives consolident la réinsertion »
Mais cet idéal est mis à mal au fil du XIXe siècle avec l’émergence du phénomène de la récidive, dans les années 1850. À la fin du siècle apparaît la première mesure de réinsertion en milieu ouvert, avec la libération conditionnelle. Un mouvement qui s’accentue après la Deuxième Guerre mondiale avec le développement de la probation, la création d’un corps des assistantes sociales et des éducateurs.
Plus tard, le sursis avec mise à l’épreuve et le travail d’intérêt général en seront la prolongation. « Mais à l’époque, il y avait une capacité des hommes politiques à porter dans l’opinion publique le message que l’enfermement est rarement une solution de long terme à la délinquance », relève Marc Renneville.
En effet, si l’incarcération peut protéger la société de certaines personnes dangereuses, elle complique globalement la réinsertion par les ruptures sociales et familiales qu’elle induit. « On sait bien qu’à long terme, les alternatives à la détention consolident la réinsertion, confirme Olivier Leurent. Le problème c’est qu’à court terme, en face d’une personne fragile, l’objectif de protection de la société paraît mieux atteint par l’incarcération. »
« Tout le monde joue la prudence »
La montée de la figure de la victime, à partir des années 1970, et la médiatisation de faits divers impliquant des personnes récemment sorties de prison a « mis une pression outrageuse sur l’ensemble de la magistrature : depuis, tout le monde joue la prudence et l’on ne pose plus la question du sens donné à la peine : doit-elle isoler, protéger, sanctionner, réinsérer voire soigner ? », estime Frédéric Lauféron, directeur général de l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale.
C’est la même prudence qui conduit les juges à recourir largement à la détention provisoire, qui bat elle aussi des records – plus de 20 000 détenus sont en attente de leur jugement. « Le problème, c’est que dans l’imaginaire collectif, s’il n’y a pas prison, il n’y a pas de sanction, s’il n’y a pas mise à l’écart, il n’y a pas protection », résume Jacky Coulon, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats (USM).
En 2014, Christiane Taubira a bien créé une nouvelle peine, la contrainte pénale. Mais celle-ci, s’ajoutant aux autres peines sans les remplacer et ne s’accompagnant pas des moyens nécessaires en milieu ouvert, est très peu utilisée par les magistrats. « Les mouvements de balancier en matière de politique pénale compliquent le travail des juges, justifie Olivier Leurent. On passe des peines planchers aux alternatives à la détention dans une forme d’injonction contradictoire. Alors qu’une peine a justement besoin de temps pour s’installer. »
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LES PEINES EN MILIEU OUVERT
Le sursis avec mise à l’épreuve. Il dispense le condamné d’exécuter tout ou partie de la peine prononcée en le soumettant à certaines obligations. Sont concernées les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement d’une durée de 5 ans au plus, en raison d’un crime ou d’un délit.
Le travail d’intérêt général. Non rémunéré, il est effectué au sein d’une association, d’une collectivité publique (État, région, département, commune), d’un établissement public (hôpital, établissement scolaire…). Cette démarche réparatrice peut être proposée pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement et certaines contraventions de 5e classe
La contrainte pénale. Il s’agit d’une peine exécutoire en milieu ouvert pouvant être prononcée pour des délits passibles d’une peine de moins de 5 ans. Elle impose une série d’obligations aux auteurs de délit : travail d’intérêt général, stage, injonction de soins, interdiction d’entrer en contact avec la victime, etc.
Flore Thomasset
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