Article publié le 4/05/2011 sur lefigaro.fr
Malgré une certaine bonne volonté des avocats et des policiers, l’incertitude règne encore sur la marche à suivre.
«On se regarde en chien de faïence, mais personne n’a le choix» , résume un avocat parisien de permanence, relatant ses premiers face-à-face avec les policiers, auprès des personnes gardées à vue. Depuis un peu plus de deux semaines, les avocats ont fait leur entrée dans les commissariats, la Cour de cassation a exigé le 15 avril dernier que les conseils soient présents à côté des mis en cause pendant les interrogatoires, et ceci sans attendre la mise en œuvre de la réforme tout juste votée. Quotidiennement, désormais, le choc des cultures se produit.
Les deux camps, sur leur quant-à-soi, y ont toutefois mis du leur. «La présence d’une tierce personne pacifie beaucoup les choses, assure Grégoire Etrillard, pénaliste qui a déjà assisté plusieurs gardés à vue. L’officier de police comme le mis en cause, rassuré par la présence d’un conseil, sont plus calmes… Du coup l’ambiance est différente.»
En face, les officiers de police judiciaire ont le plus souvent accepté de donner une «feuille de route» indicative à l’avocat, de façon qu’il sache, dans la mesure du possible, s’il doit se tenir à disposition pour d’autres interrogatoires à venir. L’un d’eux, en pleine empathie avec ses anciens adversaires : «Je n’imaginais jamais que les policiers travaillaient dans des locaux aussi délabrés !»
Officiellement, on se félicite donc de ces premiers pas porteurs d’espoirs de la révolution de la garde à vue : cahin-caha, les barreaux ont répondu présent, y compris en province, à l’exception d’une demi-douzaine d’entre eux, assure le Conseil national des barreaux. Les chiffres de la préfecture de Paris montrent toutefois qu’un tiers seulement des demandes d’avocat ont été servies. Les enquêteurs, eux, ont quand même choisi de reporter les gardes à vue les plus lourdes et les plus stratégiques, notamment celles concernant des affaires financières. Car un certain flou règne encore sur la bonne marche à suivre.
La Cour de cassation a fixé le cadre général : l’«assistance» de l’avocat dès le début de la garde à vue. Pour le passage à la pratique, la Chancellerie a diffusé une circulaire enjoignant les acteurs à se calquer sur les règles définies par la loi qui sera applicable dans quelques semaines. Mais rien n’oblige formellement à se conformer à un texte qui n’est pas encore promulgué. Une partie des avocats veulent donc pousser leur avantage : selon eux, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme doit s’appliquer, une jurisprudence qui, selon l’analyse des barreaux, offre plus de droits aux avocats. «On va assister à des annulations de procédures importantes, c’est certain», prédit Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie-officier.
Sur le terrain, les frottements entre avocats et enquêteurs portent majoritairement sur l’étendue des informations que le policier doit livrer à la défense. Toute la tactique d’interrogatoire est en jeu : les enquêteurs veulent préserver l’effet de surprise qui leur permet de scruter les réactions des mis en cause. La loi ne prévoit pas d’accès à l’ensemble du dossier, mais les avocats ont bien l’intention de porter le texte devant la Cour de cassation et la Cour européenne de Strasbourg.