Alors qu’a débuté ce lundi le procès de Salah Abdeslam et Sofien Ayari pour la fusillade rue du Dries à Forest, la question se pose de savoir si la prison a un intérêt pour des personnes radicalisées comme celles-là.
« La place de la prison se pose pour tous types de délit, et a fortiori dans les matières comme le terrorisme », répond Annie Devos. « Il est clair qu’une société doit pouvoir réagir par rapport à des actes très très violents auxquels on a été confrontés. Dans une société démocratique, on a un état de droit et on doit pouvoir punir ; et un moment donné pouvoir donner un coup d’arrêt à des comportements inacceptables qui sont des entraves majeures au fonctionnement de la vie en société. Donc la prison à son sens ».
Le régime carcéral actuel pose « énormément de problèmes »
Mais pour l’administratrice générale des maisons de justice, il faut surtout se poser la question sur « le comment est la prison ? ».
En tant qu’ancienne directrice de prison, elle estime que « les conditions de détention, les conditions de travail des surveillants, le régime qui est offert en prison, posent énormément de problèmes ».
Le Conseil de l’Europe plaide pour une normalisation, dit-elle. « C’est à dire que la prison doit offrir les mêmes chances que ce que la personne a dans la société. C’est à dire avoir droit à un travail, à des soins de santé, à de la formation, mais en étant privé de liberté. Il est très clair qu’on n’en est pas là, qu’il y a beaucoup d’espace pour le progrès. Mais pour le moment la question du sens de la peine se pose et a fortiori pour ces personnes-là ».
« L’immense majorité sortira un jour de prison »
A la question de savoir si la réinsertion est possible pour des personnes radicalisées comme Salah Abdeslam, Annie Devos répond que « c’est comme pour toute personne, on fait dans notre pays le choix d’orienter les choses vers la réinsertion, vers l’inclusion sociale. La plupart des personnes qui sont en prison, l’immense majorité, sortira un jour. Donc on doit se préparer à les ré-accueillir dans la société. Et il est clair que plus le parcours est difficile en prison, plus la réinsertion est compliquée ».
Autrement dit, si les personnes qui ont commis des attentats doivent payer pour ce qu’ils ont fait, « il y a aussi une forme d’attention à avoir par rapport à ces personnes qui ont commis tous ces faits dans la manière dont on leur tend la main pour après ».
« Il y a un chemin qui doit être fait par les personnes mêmes qui ont causé tous ces problèmes, mais il y a aussi sur le plan de la société une capacité à les réintégrer », précise-t-elle.
Annie Devos affirme que c’est un discours « difficile à entendre aujourd’hui » car « on est vraiment pris par le populisme », mais c’est un travail essentiel à faire.
« Il faut prévoir un accompagnement à la sortie »
L’administratrice générale des maisons de justice constate que « depuis une vingtaine d’années, il y a une très forte diminution du nombre de libérations conditionnelles dans ce pays. Beaucoup vont à fond de peine ».
Citant les dernières statistiques des établissements pénitentiaires, elle affirme que « plus de 700 personnes aujourd’hui vont à fond de peine, alors que l’on a à peine 250 libérations conditionnelles directement, et environ 500 libérations conditionnelles précédées d’une surveillance électronique ». Ce qui veut dire que « sur les 1400-1500 sortants de prison », c’est du 50-50.
Et de préciser : « Le plus grand nombre de sortants de prison sont des gens qui étaient en détention préventive et qui sont libérés en attendant leur procès. Et entre-temps, en générale, sauf s’il y a une alternative à la détention préventive, il n’y a pas d’accompagnement du tout ».
Pour elle, il est clair qu’aujourd’hui il est « difficile de prendre le risque de libérer quelqu’un avec des conditions ». Mais « à force de ne pas prendre de risques on crée du risque qui va finir par revenir en boomerang ». Et donc, « le meilleur moyen de travailler est de prévoir un accompagnement à la sortie. De prévoir quelque chose où les gens peuvent venir poser des questions, travailler leurs difficultés, voir dans la complexité des situations qu’ils rencontrent comment ils peuvent se débrouiller. Mais c’est du pas à pas, ce sont des forêts qui poussent, ce ne sont pas de grandes opérations médiatiques, ce n’est pas de l’affichage politique, c’est vraiment dans le quotidien. C’est dans des toutes petites choses parfois que les gens basculent, et c’est ça que l’on voit dans les processus de radicalisation. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné on a été pris dans telle ou telle dynamique ? Quelle est la frustration majeure que l’on a pu subir avec une petite amie, avec quelque chose qui explose dans le quotidien ? C’est de ce genre de chose que l’on commence à parler. Et pas directement les grands discours. C’est pas là que se passe la vie des gens ».
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