Article de Philippe Bernard , publié sur LeMonde.fr le 30 octobre 2009
L’affaire dite des « biens mal acquis » vient de prendre une nouvelle dimension. Depuis la première plainte déposée en mars 2007, ses promoteurs mettent en cause les richesses accumulées en France par des chefs d’Etat africains et se heurtent au refus du parquet (contrôlé par le gouvernement) de valider la procédure. Jeudi 17 septembre devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, ils ont mis en garde contre un nouveau risque : que la réforme voulue par Nicolas Sarkozy visant à supprimer le juge d’instruction ne tue dans l’œuf leur initiative.
La procédure, qui vise les présidents Omar Bongo du Gabon (aujourd’hui décédé), Denis Sassou-Nguesso (Congo) et Teodoro Obiang Nguema (Guinée-Equatoriale), a été relancée, le 5 mai dernier, par la décision inattendue de la doyenne des juges d’instruction de Paris, Françoise Desset, qui a déclaré recevable la plainte déposée par l’association Transparency International (TI) pour « recel de détournement de fonds publics » visant ces chefs d’Etat africains.
Cette appréciation n’a pas été du goût du parquet qui a fait appel. L’audience s’est tenue à huis clos, jeudi 17 septembre, et la décision sera rendue le 29 octobre. L’enjeu est l’ouverture, ou non, d’une instruction qui permettra de déterminer si les biens en cause – immeubles et voitures de grand luxe – ont été ou non acquis avec de l’argent public prélevé sur les budgets des Etats africains, comme le soutient Transparency.
Pour le parquet, l’association n’est nullement fondée à porter plainte parce qu’elle ne justifie d’aucun préjudice personnel et que son combat « contre la corruption au niveau international » est si large qu’il relève « à l’évidence de l’intérêt général » que le parquet a précisément en charge de défendre.
Défense de l’intérêt général
William Bourdon, président de l’association Sherpa qui est à l’origine de la procédure, et avocat de TI, rétorque en citant plusieurs cas où la justice a jugé recevable des plaintes d’associations défendant des intérêts collectifs, en matière de défense de l’environnement et de lutte anti-tabac notamment. Il soutient que TI, en tant que personne morale, a subi un « préjudice personnel et direct » puisque les faits reprochés aux potentats africains mettent directement eu cause « les intérêts que l’association a statutairement pour objet de défendre ».
Mais la défense de Transparency International a élargi son propos en produisant à l’audience de jeudi un mémoire rédigé par la juriste Mireille Delmas-Marty, professeur au Collège de France et membre du conseil d’administration de Sherpa. Dans ce document, elle approuve l’ordonnance de la juge d’instruction jugeant la plainte recevable. Pour Mme Delmas-Marty, la tendance actuelle au renforcement des pouvoirs du parquet et la perspective de la suppression du juge d’instruction « ne font que renforcer la nécessité de contre-pouvoirs ». Elle « approuve » l’évolution tendant à « élargir » le droit pour les « acteurs civiques » comme TI de porter plainte dans les affaires de corruption, « tout particulièrement lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, de lutter contre une criminalité à caractère transnational ».
Ces arguments ne relèvent pas uniquement du débat juridique de principe. La plainte contre les chefs d’Etat africains et leurs familles est directement menacée par le projet de réforme qui tend à supprimer le juge d’instruction et à réserver au parquet l’initiative des poursuites. Quelle que soit la décision rendue le 29 octobre – favorable ou non à TI –, elle fera l’objet d’un pourvoi en cassation qui mettra au moins un an avant d’être jugé. Entre-temps, la réforme pourrait rendre obsolète l’actuelle procédure des « biens mal acquis ». Car en supprimant le juge d’instruction, elle ferait perdre son objet à l’actuel controverse sur sa saisine.