L’aide juridique aux plus pauvres, éternelle sacrifiée du budget de la Justice

Le budget 2015 prévoit d’affecter 34 millions d’euros supplémentaires pour l’aide juridictionnelle, un dispositif réservé aux justiciables les plus démunis. Insuffisant selon les avocats.

Le dossier est épineux et mobilise les avocats depuis plus d’un an. Le financement de l’aide juridictionnelle (AJ), ce système qui permet aux justiciables les plus modestes de voir leurs frais de justice et leurs honoraires d’avocats pris en charge par l’Etat, empoisonne toujours les relations entre la profession et le ministère de la Justice. La présentation du projet de budget 2015, mercredi, n’a pas réglé la situation. Les avocats estiment que le système est à bout de souffle et demandent un investissement bien plus important des pouvoirs publics. Le gouvernement, de son côté, affirme qu’il a déjà fourni d’importants efforts dans un contexte budgétaire difficile. Explications.

QU’EST-CE QUE L’AIDE JURIDICTIONNELLE ?

L’AJ permet à 900 000 personnes à faibles ressources de bénéficier, totalement ou partiellement, de la prise en charge de leurs frais de justice (honoraires d’avocat, d’huissier, d’expert…). Le dispositif est strictement encadré. Pour une personne seule, un plafond de 936 euros de ressources mensuelles ne doit pas être dépassé.

Le dispositif coûtera, en 2014, 345 millions d’euros. Une somme que le gouvernement peine à financer. Notamment car il a décidé, il y a un an, de supprimer le timbre fiscal de 35 euros facturé aux particuliers pour saisir la justice. Un dispositif «injuste» auquel Christiane Taubira avait décidé de mettre un terme. Problème : cette taxe apportait 60 millions d’euros au budget de l’aide juridictionnelle. En 2014, la somme a été compensée par une rallonge budgétaire.

Depuis un an, le gouvernement cherche de nouvelles sources de financement. Plusieurs pistes ont été envisagées : la démodulation des unités de valeur (UV) qui fixe la rémunération des avocats exerçant au titre de l’AJ. Trop sensible, elle a été abandonnée. La taxation du chiffre d’affaires des cabinets d’avocats a ensuite été envisagée. Marche arrière après plusieurs grèves des professionnels du secteur.

COMMENT L’AIDE JURIDICTIONNELLE SERA-T-ELLE FINANCÉE ?

Le budget 2015 prévoit de consacrer 379 millions d’euros au dispositif, soit 34 millions d’euros de plus qu’en 2014. Trois mesures sont prévues : la taxe spéciale sur les contrats d’assurance de protection juridique sera augmentée, ce qui fait râler les assureurs. Une revalorisation du «droit fixe de procédure pénale», payé par les personnes condamnées, et de «la taxe forfaitaire sur les actes d’huissiers de justice», sont également à l’ordre du jour.

Ces trois augmentations, dont l’ampleur respective n’est pas précisée, «permettront de mobiliser, dès 2015, 43 millions d’euros» de recettes supplémentaires qui «seront affectées au Conseil national des barreaux qui les affectera lui-même au paiement des avocats effectuant des missions d’aide juridictionnelle», explique le gouvernement.

COMMENT RÉAGISSENT LES AVOCATS ?

Pour eux, le compte n’y est pas. Florian Borg, secrétaire général du syndicat des avocats de France (SAF), explique que les ressources dégagées ne font que couvrir «des besoins nouveaux». A la suite de la transposition d’une directive européenne, une personne peut désormais recourir aux services d’un avocat (et donc à l’AJ) en cas d’audition libre ou de déferrement devant un procureur de la République. Sans oublier «la hausse tendancielle du recours à l’aide juridictionnelle», rappelle Florian Borg. Pour lui, le projet de budget 2015 «ne règle donc pas les problèmes de fond».

Notamment la possibilité pour tous d’avoir accès aux services d’un avocat. «Dans les dossiers de droit au logement opposable et d’expulsions locatives, les locataires, bien souvent, ne sont pas présents ou ne bénéficient pas d’un conseil. L’augmentation du budget de l’aide juridictionnelle permettrait à davantage de personnes d’être défendues.»

Autre revendication : obtenir une indemnisation «correcte». «Pour la défense d’une personne hospitalisée sous contrainte, un avocat touchera 80 euros au titre de l’aide juridictionnelle, illustre Florian Borg. Pour un rendez-vous, l’analyse des pièces du dossier, une écriture, une audience.» Insuffisant, selon le syndicaliste du SAF, qui demande rien de moins qu’un doublement du budget global de l’AJ, pour le porter entre «650 et 700 millions d’euros».

Sylvain MOUILLARD

source : Libération.fr
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