L’art en prison : “un demi-mètre carré de liberté”

Première exposition en France d’œuvres issues de l’univers carcéral. Poignant et admirable.

Un demi-mètre carré : c’est la taille moyenne des peintures, dessins, collages, sculptures qui se sont échappés des prisons de quarante pays pour éclabousser de leur diversité les murs de la galerie de l’Américaine Dorothy Polley. La toute première exposition en France d’art issu de l’univers carcéral, et d’envergure internationale. L’évasion de 150 œuvres (sélectionnées après un concours qui a motivé 1000 candidatures) a été soutenue par différentes associations européennes à but non lucratif, mais c’est celle créée en Allemagne il y a cinq ans, Art and Prison, qui a réuni la collection et qui l’a déjà exposée au Ministère de la Justice à Berlin l’année dernière.

Enfermement physique et cavalcades mentales

Les artistes autodidactes sont des deux sexes et de tous les âges, mais ils partagent un terrible point commun : ils sont tous détenus, depuis peu ou depuis longtemps ; encore pour un moment ou pour toujours. Mais tout dans leurs œuvres prouve que leur esprit reste libre de rêver, d’imaginer, de fantasmer… et d’espérer. De croire qu’un jour il y aura, de l’autre côté des murs, une nouvelle existence à construire, une famille à réunir, des amis fidèles à retrouver, des amours à savourer, des projets à lancer. Paysages fantasmés, horizons dégagés, scènes de vie conjugale… beaucoup de tableaux sont poignants par le témoignage qu’ils livrent sur la force de l’instinct psychique de survie, quand le corps est, lui, privé de tout ressort, forcé à l’inactivité.

Purgatoire et exutoire

C’est aussi par cette porte mentale que les prisonniers expulsent leur solitude, leur angoisses, leurs désillusions. Des ciels de sang, un pigeon voyageur qui reste le seul à délivrer un message venu de l’extérieur, La Scène de Léonard de Vinci réinterprétée comme le dernier repas du condamné à mort, mains agrippées à des barreaux, automutilation… La douleur est présente mais on peut se laisser aller à penser que de pouvoir l’exprimer avec un pinceau, un fusain, des papiers et des ciseaux (voire avec ses mains, seul moyen trouvé par détenu autrichien, placé à l’isolement et jugé trop dangereux pour utiliser un quelconque outil) la soulage un peu à défaut de l’expurger.

Le temps : un ennemi qui devient un allié

Comment tuer le temps en cellule, ne pas devenir fou quand on passe la majorité (ou l’intégralité) de ses journées enfermé dans… quelques mètres carrés ? C’est la question sans réponse que se pose toute personne jouissant de sa liberté. Et si le lent écoulement du sablier est une exaspération constante pour une personne attendant sa sortie de prison, il peut sembler fuir à toute allure et devenir une torture pour un condamné à la peine capitale. L’art réconcilie les prisonniers avec cet élément mouvant. Car c’est le temps dont disposent ces artistes cloîtrés qui explique le soin apportés aux détails, aux couleurs, à la composition des tableaux, des collages… qui scotchent l’œil du visiteur.

L’art : vecteur de l’humain

« L ‘art est le plus court chemin de l’homme à l’homme » disait Malraux. Ce que confirme Berthet One, ancien détenu devenu dessinateur de BD en prison et parrain de l’exposition (avec le photographe iranien Reza) : « On peut créer en détention, du moment que l’on a un cerveau. Le public peut être vraiment surpris de voir que les personnes qui ont fait ça sont pleines de sensibilité. Et créer apporte de la fierté . »Surtout lorsque ce qui est accompli dans le silence, l’obscurité et la solitude, est vu et apprécié par des gens de l’extérieur. En offrant aussi un statut, celui d’artiste, à cette population marginalisée, une telle exposition lui permet d’être envisagée, considérée autrement, humainement et avec tout le respect du au talent.

source : télérama.fr
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