Laval, tribunal surendetté, qui ne parvient plus à payer ses timbres

Même si le budget de la Justice affiche une légère progression (2,3 %) pour 2015, les tribunaux, en panne de crédits depuis plusieurs années, peinent pour beaucoup à régler leurs factures. Reportage à Laval, un tribunal qui revend ses ferrailles pour boucler ses fins de mois et charge les avocats de fournir les photocopies.«Je ne sais pas pourquoi vous venez nous voir. Le tribunal de Laval n’est pas le plus à plaindre. Nous avons un beau bâtiment tout neuf inauguré en 2006 et j’ai la chance d’avoir des magistrats en nombre suffisant.» Philippe Mury, le président de cette petite juridiction de l’ouest de la France, fait le tour du propriétaire, humour à froid. Il pousse doucement la porte d’une salle d’audience correctionnelle, toute lambrissée de bois clair: «Vous voyez, nous avons même des fresques d’art contemporain.» Dans la salle des pas perdus qui s’enroule autour d’une tour de babel de pierre sombre abritant plusieurs salles d’audience, le président du tribunal reprend: «L’architecte nous a fait une belle verrière qui rappelle le marché couvert qui existait précédemment sur ce site. Nous sommes installés depuis huit ans dans ce superbe bâtiment en plein centre-ville historique qui dispose même de places de parking pour nos magistrats et nos fonctionnaires… Une chance! Il est vrai que dans le précédent tribunal, un magnifique château Renaissance, le plafond s’était effondré pendant une cession d’assise… Heureusement, cela s’est passé la nuit. Il faut tout de même rendre grâce à l’État qui depuis les années 1960 a triplé le budget de la Justice et s’est lancé dans un plan immobilier sans précédent», soupire-t-il en poussant la porte de son bureau où le style Empire jure un peu avec la sobriété de l’architecture contemporaine.

Penché sur ses tableaux Excel, Philippe Mury passe en revue son budget qui concerne le tribunal de grande instance, ceux d’instance et de commerce ainsi que le conseil des prud’hommes. Une manne de 672 582 euros qui prend en charge tous les frais de fonctionnement, de l’entretien au gardiennage du bâtiment. «Ce qui coûte le plus cher. Un jour pour faire des économies, les tribunaux devront se décider à installer des alarmes et de se priver de surveillance le week-end.»

En attendant, la juridiction de Laval a consommé 97 % de ses crédits de l’année, selon les comptes arrêtés au troisième trimestre, et le recensement des factures en attente de paiement dépasse les 110 000 euros.

La dernière photocopieuse du civil menace de rendre l’âme

À l’étage du civil qui cumule le plus lourd contentieux du ressort, on vit dans l’inquiétude de voir expirer la dernière photocopieuse encore vaillante. Il y a quelques semaines, faute de contrat de maintenance en raison de la vétusté de l’engin, un technicien dévoué a sacrifié et désossé un autre appareil encore plus antique «qui ne faisait pas le recto-verso», pour sauver la première.

«Le président ne l’avouera pas mais on l’a vu aller chercher lui-même avec un collègue la photocopieuse de la chambre correctionnelle pour faire la jointure», souligne sous couvert d’anonymat une magistrate. Elle brandit quelques fax de l’application des peines. Une coulure d’encre rend les dates des condamnations illisibles. Ennuyeux quand les procédures sont enserrées dans des délais stricts ou quand avoir le passif des prévenus est une nécessité pour personnaliser les dossiers. La magistrate glisse sur le sujet mais raconte encore: «Hier, les permanenciers du parquet étaient en quête d’un tiroir de fax. C’est essentiel le fax dans le traitement en temps réel des affaires.»

Angers et Le Mans ne paraissent pas en meilleure forme et la cour d’appel du ressort tente de coordonner les dépenses et de définir les priorités pour gérer la pénurie. La veille, une mise en demeure de la poste est arrivée sur le bureau du procureur général pour un montant de 400 000 euros. Laval qui n’a pas payé ses affranchissements depuis le début de l’année va impérativement devoir honorer la facture de janvier 2014 qui s’élève à un peu plus de 8 000 euros. Le reste de la créance, c’est-à-dire 80 000 euros, sera honoré sur le prochain budget, celui de 2015. «Tout ce qui n’est pas interdit est permis si ce n’est pas susceptible de préjudice», sourit le président qui pour réduire les frais d’affranchissement des convocations par recommandé charge les avocats de convoquer eux-mêmes par téléphone les candidats au divorce par consentement mutuel. «S’ils ne viennent pas, c’est qu’il n’y a pas de consentement», sourit-il. Système «D» oblige, dans un tribunal qui met un point d’honneur à réduire les délais des contentieux les plus simples, il est demandé aux notaires et aux avocats de fournir les photocopies des actes et des conventions afin d’échapper aux caprices d’une photocopieuse qui ne tiendrait pas le rythme des 2 000 copies qu’impliquent les 20 dossiers de divorce par audience.

Il n’empêche. «En janvier, la dotation est mangée par le passif», avoue, affligé, le président du tribunal de Laval qui ne peut que constater année après année l’augmentation de son endettement. De 52 136 euros en 2011, il est passé à 128 936 euros en 2013 faute de purge une bonne fois pour toutes.

Pour éviter l’impasse budgétaire, le tribunal sacrifie volontairement «les fluides» – en clair: EDF et GDF. Laval ne les a pas payés depuis le mois d’avril dernier. Un classique des tribunaux. À Laval, on a les yeux rivés sur les prévisions météorologiques de l’hiver prochain. «S’il fait plus froid que l’année qui vient de s’écouler, cela va être compliqué pour chauffer», avoue-t-on.

L’épineuse gestion des frais de justice

Les tribunaux sont davantage encore concentrés sur les frais de justice que de fonctionnement car sans une marge financière suffisante, ce sont toutes les enquêtes et procédures qui peuvent être bloquées. «On ne peut pas lésiner sur le paiement d’un médecin qui assure une garde à vue. Comment ensuite le faire se déplacer une fois prochaine en pleine nuit, s’il n’a pas été payé? Même si les experts sont payés à un an, ils restent une priorité.» Carine Dudit, représentante régionale de l’Union syndicale des magistrats, rappelle qu’«en 2013, il a fallu se battre pour obtenir un budget pour l’achat des codes. La Chancellerie préconisait de se contenter des versions numériques, peu pratiques à l’usage».

Pour la fin de l’année, la cour d’appel d’Angers a donné des ordres stricts à Laval au sujet de la gestion des 3,8 millions d’euros de budget de frais de justice. «La seule facture qui sera honorée en priorité sera celle du défraiement des jurés d’assise dont une cession va se dérouler ce mois-ci», explique Philippe Mury qui par ailleurs tente de gérer comme il peut saisies et scellés. «J’y regarde à deux fois avant de saisir une voiture dans le cadre des délits routiers. Hors de question de garder un véhicule à 4 euros par jour si je n’ai aucune chance d’en tirer à terme un prix de vente supérieur à celui du gardiennage.» «Au printemps dernier, nous avons dû saisir 63 chiens pour mauvais traitement par un propriétaire de chenil. À 6 euros par jour pendant près de cinq mois, vous voyez l’addition!» Le magistrat avoue également mettre en concurrence les ferrailleurs de la région pour tirer le meilleur profit des métaux figurant dans les scellés…

Inflation législative

Il faut dire que 90 % de l’enveloppe frais de justice ont déjà été dépensés cette année par le ressort. Pourtant, la cour d’appel peut se flatter d’avoir fait baisser ses dépenses en la matière de 21 % par rapport à 2013. Certains postes comme les analyses génétiques et les réquisitions auprès des opérateurs
télécoms ont respectivement diminué de
52 et 35 %. En revanche, les enquêtes sociales et de personnalité, permettant d’individualiser les peines, ont largement progressé, ainsi que les contrôles judiciaires, qui passent la barre des 300 % d’augmentation. Si les tribunaux ne cessent d’optimiser leur fonctionnement, l’inflation législative ruine parfois leurs efforts, il en est ainsi des hospitalisations d’office dont la procédure a été alourdie et de la révision obligatoire de toutes les mesures de tutelle dépassant les cinq ans, avant la fin de l’année. «Un travail titanesque que nous venons d’achever», se félicite Philippe Mury.

Pourtant, loin de réjouir la Chancellerie, les bonnes performances réalisées malgré ce contexte par la juridiction ont éveillé la suspicion de la Direction des services judiciaires. Avec 447 jugements annuels rendus par fonctionnaire de justice, Laval affiche en effet une productivité au-dessus de la moyenne – qui se situe à 374 jugements par fonctionnaire. Or si le nombre de magistrats est suffisant, le tribunal souffre d’un déficit chronique en terme de greffiers notamment. De bons chiffres qui ont alerté les services de la Chancellerie. Les chefs de juridiction ont reçu une demande d’explication en ces termes: «Le constat d’une efficience élevée avec moins d’emplois temps plein disponibles suscite des interrogations et laisse supposer une tension sur l’activité des fonctionnaires. La tension est accentuée par un absentéisme élevé et faiblement compensé. Comment expliquez-vous cela?»… «Parce que le cadre est si agréable que tout le monde y est heureux d’y travailler», sourit un brin goguenard Philippe Mury.

source : lefigaro.fr
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