Le financement participatif des actions en justice

Quatre jeunes lancent We justice, un site de financement participatif pour les actions en justice, à partir duquel n’importe qui pourra contribuer à payer les frais de justice d’un porteur de cause.

Le site doit être lancé au mois de novembre, mais la page d’accueil est déjà visible. We justice, site de crowdfunding, sera uniquement dédié au financement des actions en justice.

Le fonctionnement général ne diffère pas des sites similaires déjà existants : un projet, une somme à atteindre, des contributeurs. Le but , « donner la possibilité à des personnes qui n’en ont pas les moyens de porter leur cause devant les tribunaux », souligne Julien Zanata, élève-avocat co-fondateur de la start-up. Cette cause, ce peut-être un préjudice écologique subi par un justiciable lambda, une arnaque, une escroquerie qui mette face à face deux parties, dont le rapport de force serait en forte défaveur de la victime. « La condition du déséquilibre des moyens est indispensable pour présenter la cause sur We justice », explique Julien Zanata.

Les quatre associés (ainsi que deux « conseillers »), expliquent avoir eu l’idée de monter ce projet en constatant que les moyens de défense des justiciables étaient trop souvent insuffisants. « L’action de groupe récemment adoptée est trop limitative (elle est circonscrite à un certain nombre de domaines, et réservée à des associations de consommateurs prédéterminées, ndlr), et pour les causes individuelles, il n’existe pas vraiment d’outil ».

Comment sélectionner le dossier ? Seules les causes ayant un caractère solidaire ou collectif sont retenues, c’est-à-dire celles pouvant directement ou indirectement intéresser d’autres personnes. « Soit on a un intérêt direct, soit on éprouve un intérêt militant, intellectuel, qui nous pousse à contribuer au « projet » pour soutenir la cause », explique Christophe Terrin, diplômé de HEC et associé co-fondateur. Ensuite, il s’agit de déterminer la somme totale à demander, celle qui servira à payer l’avocat qui portera l’action devant les tribunaux. « Nous n’intervenons pas sur la cause en elle-même, nous préférons garder notre neutralité ». Pas d’avis non plus sur les chances de victoires finales et pas d’intéressement au résultat. La rémunération se fait par une commission d’un peu plus de 8 % sur la cagnotte réunie sur le site. Pas de conseil juridique non plus, le « causeur » (celui qui présente sa cause) choisit librement son avocat, et négocie avec lui une convention d’honoraires qui couvrira l’ensemble de la procédure.

Jean-Jacques Gandini, avocat habitué de ce type d’actions et président du Syndicat des avocats de France (SAF), salut l’idée « de rétablir la balance et de favoriser les victimes » qui doivent faire face à de puissants adversaires. Il ajoute : « c’est ce qui se passe déjà dans un cadre plus informel, avec des associations qui se forment à l’échelle locale pour réunir les fonds nécessaires à une action en justice ». Le tout dans un esprit de militantisme propice à l’adhésion populaire.

Une rude concurrence

L’important, dit-il, c’est la transparence dans le fonctionnement de cette activité. Que l’on soit sûr que l’argent investi parte dans la défense de la cause financée, et uniquement dans cette cause. La commission Déontologie et périmètre du droit du Conseil national des barreaux (CNB) est d’ailleurs chargée de surveiller ce genre de site » précise t-il.

Parmi « ce genre de site » il y a actioncivile.com, fondé par Jérémy Oinino et l’avocat Jérémie Assous (lire notre article). Celui-ci ne s’occupe que d’action de groupe, et ne fonctionne pas de la même manière, mais il partage la même ambition de permettre aux justiciables un meilleur accès à la justice.

Jérémie Assous salue également la démarche, mais s’interroge sur la viabilité du projet. « L’idée est belle et noble en théorie et j’espère qu’ils vont réussir mais ils vont se positionner sur un créneau déjà largement encombré. Il existe pour les actions concernant un très grand nombre de plaignants actioncivile.com, ainsi que des fonds spécialisés dans le financement de ces causes. Sur les actions individuelles, les avocats commencent déjà le travail quasi gratuitement lorsque la responsabilité de la partie adverse ne souffre d’aucun doute, et ils se rémunèrent sur le résultat », analyse-il.

Il soulève par ailleurs le problème de l’aboutissement judiciaire des causes : quelles sont les chances de victoire ? « On peut se poser la question des contributeurs : ne voudront-ils pas avoir un droit de regard sur la qualité de la défense ? L’avocat engagera t-il sa responsabilité en cas de défaite, surtout si un contributeur démontre qu’il aurait pu obtenir gain de cause en soulevant d’autres moyens de droit ? ».  L’avocat prévoit que, à terme, We justice devra s’investir juridiquement dans l’entreprise, pour mieux maîtriser ces aléas.

Julien Zanata lève les inquiétudes. Pour lui, l’adhésion à la cause suffit à satisfaire les soutiens. « L’important est que la victime puisse faire entendre sa voix. Ni nous, ni les soutiens ne doivent être intéressés au résultat de l’action judiciaire. We justice n’a pour vocation que de connecter les bonnes personnes entre elles, dans une mesure qui n’existe pas aujourd’hui », argue-t-il.

source : dalloz-actualite.fr
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