Frédéric Lauféron, directeur de l’Association de Politique Criminelle Appliquée et de Réinsertion Sociale (1)
Le projet de réforme pénale en cours de discussion au Parlement a notamment pour ambition de renforcer et développer le recours aux enquêtes sociales, connues également sous le terme d’enquêtes de personnalité. Mais les approches divergentes du gouvernement et du Sénat sur la méthode rendent l’Assemblée nationale arbitre de ce débat déterminant pour le bon fonctionnement de la justice pénale. En effet, quels liens existe-t-il entre des personnes poursuivies pour outrage, vol simple, agression sexuelle, trafic de stupéfiants… ? Elles sont toutes déférées devant la justice pénale et notre association aura été mandatée par un procureur pour réaliser leur enquête sociale.
Sollicitée dans le cadre de la « justice du quotidien » et des procédures accélérées telles que les comparutions immédiates, celle des gens inconnus, avec ou sans casier judiciaire, avec ou sans domicile fixe, l’enquête sociale rassemble des informations concernant le parcours et la situation de personnes mises en cause qui vont être jugées. On y fait ressortir l’existence d’un emploi, d’une famille, de ressources financières, d’éventuelles dettes, des problématiques d’addictions mais aussi les possibilités d’insertion sociale. Bref, il s’agit d’expliquer au siège, au parquet et à l’avocat de la défense qui est la personne à propos de laquelle, si elle est reconnue coupable, une peine sera prononcée.
Dans les grandes juridictions, les comparutions immédiates sont à la justice ce que le service des urgences est à l’hôpital. Les actions du procureur, des avocats, interprètes, enquêteurs sociaux, s’orchestrent dans un ballet effréné tel une ruche, sept jours sur sept, bien loin du calme des cours d’assises. Pourtant, les enjeux sont considérables car la peine encourue peut aller jusqu’à dix ans voire vingt ans de prison en cas de récidive. On voit ici l’intérêt à ce que la justice se prononce sur la base de tous les éléments de personnalité fournis dans l’enquête sociale. On en mesure tout aussi aisément l’importance pour les nombreux avocats commis d’office qui découvrent, parfois quelques minutes avant l’audience, l’affaire et le client qu’ils auront à défendre. L’enquête sociale est, pour eux, une mine d’informations.
Pourtant, le projet de réforme pénale du gouvernement propose que les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) réalisent une partie des enquêtes sociales effectuées jusqu’alors par les associations, ce qui se révélerait une grave erreur. Ce ne sont pas les renforts annoncés, soit environ 1 500 postes, qui suffiront pour répondre à leurs seules missions actuelles. Face à cette réalité, il semble illusoire d’étendre davantage leur champ de compétences aux enquêtes sociales.
Par ailleurs, si l’étude d’impact du projet de loi a bien prévu un développement substantiel du recours aux enquêtes sociales, elle n’a nullement abordé la question de revalorisation de leur tarif qui dépend d’un décret de… 2004. Dans quel autre secteur d’activité voit-on le prix d’une prestation gelé depuis près de quinze ans ?
En première lecture, le Sénat s’est, pour sa part, montré pragmatique. Il a maintenu le rôle principal des associations et a même prévu l’extension de son contenu de manière efficace : aux informations figurant déjà dans ces enquêtes, le Sénat a ajouté le fait « de vérifier la faisabilité matérielle de certaines peines ou aménagements de peine pouvant être prononcés ». Cela répond au besoin de limiter le recours aux peines de prison, non seulement pour éviter d’aggraver la situation en détention mais aussi pour favoriser l’insertion des personnes condamnées avec des peines adaptées en milieu ouvert. Ces objectifs sont partagés par le gouvernement et il apparaîtrait logique que les députés valident cette partie du texte.
Alors que le Sénat vient d’adopter, par 228 voix contre 19, le projet de loi, c’est au tour de l’Assemblée nationale de se pencher sur le texte. Le moment est venu pour elle de s’inscrire dans le sillon tracé par le Sénat. Agissons de concert pour améliorer l’efficacité de notre justice pénale, dans l’intérêt de tous les acteurs judiciaires, des justiciables et de notre société.
C’est l’une des conditions pour que la justice reste humaine, que le siège et le parquet disposent d’un dossier de personnalité à la hauteur des enjeux, que les droits de la défense puissent continuer à s’exercer, que le développement des alternatives à la détention participe durablement à la lutte contre la surpopulation carcérale et, in fine, que la récidive recule.