Article de Claire Ané, publié sur LeMonde.fr le 16 novembre 2009
« Du point de vue du droit européen, la garde à vue à la française est illégale », a estimé mardi 17 novembre le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, après avoir dénoncé le traitement « inhumain » et « dégradant » d’une avocate gardée à vue la veille à Meaux (Seine-et-Marne), entièrement déshabillée, fouillée au corps et menottée.
Me Christian Charrière-Bournazel a évoqué sur France Info l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg du 27 novembre 2008, et surtout celui du 13 octobre 2009, qui estime qu' »un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat ». Le bâtonnier du plus important barreau de l’Hexagone a souligné qu’en France, l’avocat peut certes être sollicité dès le début de la garde à vue, mais il ne peut s’entretenir avec son client que plus tard, durant une demi-heure maximum. Il n’assiste pas aux interrogatoires, et n’a pas accès au dossier. Il ne peut revoir son client qu’à la vingtième heure. Me Charrière-Bournazel a donc appelé les avocats à « soulever partout les nullités des gardes à vue qui sont faites dans ces conditions à la française, qui sont contraires à ce que la jurisprudence de Strasbourg demande ». Avec pour objectif une réforme de la garde à vue, afin « qu’on s’aligne sur les grandes démocraties comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre ».
« NE PAS EXTRAPOLER »
Prié de réagir, le ministère de la justice a estimé qu’elle n’était pas d’actualité. Il a mis en avant que les deux arrêts cités condamnaient la justice turque et non française, et qu’il « ne faut pas extrapoler ». « En aucun cas, la Cour européenne des droits de l’homme n’exige que l’avocat soit présent pendant toute la durée de la garde à vue », a ajouté un porte-parole.
« La chancellerie dit que tout va bien, mais le système français ne répond à l’évidence pas aux arrêts en question : l’assistance qu’ils demandent dès la garde à vue signifie une présence constante et permanente de l’avocat », estime de son côté le président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), Christophe Régnard, sollicité par Le Monde.fr. « Si ces arrêts n’ont pas d’impact immédiat pour la France, ils serviront de base aux recours en nullité que les avocats déposent devant la justice française, qui ont quelques chances d’aboutir. Or, si un tribunal prononce la nullité d’une garde à vue, c’est toute la procédure derrière qui s’effondre, ce qui aboutit à la libération d’office des personnes détenues », prévient-il.
Le gouvernement pourrait, plus certainement encore, être contraint de revoir la législation après un arrêt de la Cour européenne. Mais celle-ci ne pourra être saisie que si tous les autres recours ont été épuisés, à savoir quand la Cour de cassation se sera prononcée.