Les trois principaux syndicats de surveillants menacent de débrayages massifs cette semaine s’ils n’obtiennent pas gain de cause sur le plan des embauches et des salaires.
À ces revendications s’ajoute le malaise d’une profession en pleine mutation.
« Avant, quand un détenu rentrait brisé d’un parloir, on prenait un petit moment pour parler. C’était informel mais ça pouvait faire du bien. Tout ça, c’est fini. Maintenant, il doit faire une lettre pour solliciter un rendez-vous médical. Nous, on est juste bon à transmettre le courrier, se désole Paul, qui achève sa carrière à la prison de Toulon.
Idem avec les détenus qui fichent le bazar. Avant, on les prenait entre quatre yeux pour un rappel à l’ordre. Maintenant, on doit rédiger un rapport d’incident, le transmettre à la commission de discipline. Elle-même n’a pas le dernier mot puisque sa décision peut être contestée par le détenu et son avocat devant le tribunal administratif. »
Et le surveillant de conclure, amer : « On sert à quoi nous dans tout ça ? De simple ”porte-clés” ? ». Ce n’est pas la codification de la vie en détention que Paul remet en question, « une avancée considérable pour les détenus »selon ses dires, mais le manque d’intérêt croissant de sa mission de surveillant.
UN FORT ABSENTÉISME CHEZ LES PLUS ANCIENS
Cette crise d’identité, une bonne partie de la profession la partage. Traduction immédiate sur le terrain : entre 5 et 10 % des surveillants démissionnent juste après leur sortie de l’école nationale d’administration pénitentiaire (Enap), qui les forme. Chez les plus anciens, le malaise se fait sentir autrement. Par l’absentéisme notamment.
Alexandre Bouquet, directeur du centre de détention d’Écrouves (Meurthe-et-Moselle), connaît bien le phénomène. « Dans mon nouvel établissement, seuls 10 % du personnel sont absents, mais dans le précédent, à Nice, je devais faire avec 30 % des effectifs en moins. Dans ce cas, on n’a pas le choix : la sécurité en coursive n’est assurée que par un surveillant au lieu de deux. » Un cercle vicieux délétère s’installe alors, l’absentéisme des uns entraînant une surcharge de travail et, au final, une démotivation de tout le monde.
La surpopulation carcérale – conjuguée aux violences qui en découlent – est souvent invoquée pour expliquer le ras-le-bol de la profession. Mais cela n’explique pas tout. « On a surtout le sentiment d’avoir petit à petit perdu la main sur la vie en détention », décrypte Christopher Dorangeville, délégué national de la CGT Pénitentiaire. « Avant, on se sentait davantage partie prenante des décisions. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. La profession traverse une vraie crise d’identité. »
DES TÂCHES DE SURVEILLANCE PRENNENT PEU À PEU LE PAS SUR LES AUTRES
L’ouverture croissante du monde carcéral sur la société a sa part dans ce malaise. Saluée par tous et gage d’une meilleure réinsertion des détenus, cette ouverture a en effet progressivement modifié le périmètre d’intervention des surveillants. Pas simple désormais de trouver sa place entre les médecins, les enseignants, les psychologues et les conseillers d’insertion, une profession qui a pris du galon ces dernières années.
« Quand j’ai passé le concours pour devenir surveillante il y a quinze ans, on nous rabâchait en permanence que nous avions trois missions : surveiller, évaluer et accompagner, se souvient Estelle, en poste à Fresnes. Aujourd’hui, l’évaluation et l’accompagnement sont confiés à d’autres. Il ne nous reste que la surveillance. C’est frustrant quand, comme moi, on a une fibre sociale. »
L’introduction de la vidéosurveillance en prison n’a rien arrangé. « Dans les nouveaux établissements, les agents font face aux écrans et ouvrent les portes à distance, explique Paul. Aller chercher un gars en cellule et l’emmener au parloir, ça permettait d’échanger un peu. Avec les nouvelles technologies, les lieux de détention sont en passe de devenir de vrais déserts humains. »
NOUVEAUX DROITS POUR LES DÉTENUS
De fait, la vidéosurveillance, peu attrayante pour le personnel, risque de rebuter les agents fraîchement recrutés par la pénitentiaire dont la formation est désormais pointue (en droit notamment). « Il y a un vrai delta entre, d’un côté, ce qu’on enseigne à l’Enap et, de l’autre, ce qui est demandé aux agents sur le terrain », reconnaît Alexandre Bouquet. « Cela explique en partie la défection de certains jeunes dès leur arrivée dans le métier. »
À cela s’ajoute la consécration de nouveaux droits en faveur des détenus, une évolution mal digérée par une partie de la profession. « Les surveillants estiment qu’on a beaucoup fait pour les détenus, sans forcément prendre en compte l’impact que cela pouvait avoir sur leur quotidien », explique Antoinette Chauvenet, chercheuse au CNRS et spécialiste des questions carcérales.
Exemple emblématique : la fin des fouilles à corps systématique, qui, jusqu’à une date récente, s’imposait après chaque parloir. Convenant de son caractère humiliant, les surveillants ne réclament pas son rétablissement mais la mise en place de nouveaux systèmes de protection, comme l’installation de portiques à onde millimétriques. En vain.
De quoi agacer Estelle : « En fait, on a le sentiment d’être moins protégés, mais aussi moins décideurs et moins considérés qu’avant. » La prison mue, les surveillants, eux, peinent à suivre.
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Les surveillants en chiffres
Effectifs : 26 734 surveillants sont actuellement en poste. Ils seront rejoints l’an prochain par 1 500 nouvelles recrues – une promotion inédite par son ampleur – afin de faire face à l’ouverture de nouveaux établissements. Les syndicats réclament, eux, le recrutement de 1 200 agents supplémentaires.
Salaires : Les surveillants gagnent, en salaire de premier échelon, 1 543 € brut par mois et achèvent leur carrière à 2 165 €. Les syndicats réclament l’ouverture de négociations sur la revalorisation des salaires, mais aussi des primes (nuit, dimanche, jours fériés, astreinte, etc.).
Marie Boëton